Var-Matin (Grand Toulon)

L’absence envahissan­te des chantiers navals

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Un fantôme hante La Seyne, celui des chantiers navals qui ont, durant plusieurs siècles, constitué l’âme et l’économie de la ville. « Après la fermeture en 1987, soit on quittait La Seyne pour essayer de trouver autre chose et s’en sortir, soit on restait et on finissait à la rue », se remémore Pierre Schmutz, un ancien travailleu­r qui, comme son père, a connu l’époque de gloire des chantiers. Aujourd’hui, le claquement des tôles du toit de l’atelier mécanique, qu’il a traversé tant de fois, résonne à travers les vitres cassées, dont les bris de verre vont se perdre dans d’immenses flaques d’eau au sol. Depuis 1711 et la création des chantiers sous Louis XIV, cette industrie faisait battre le coeur de la ville et rythmait la vie des ouvriers. Lorsque le palpitant s’est arrêté, la page a eu du mal à être tournée.

« Le moteur de la ville»

« Les chantiers occupaient toute la longueur de l’esplanade marine, c’était le moteur de la ville, c’était la vie tout simplement », confirme Nicky, créateur de laseyne.info, un site Internet consacré à la ville : « Les chantiers restent le souvenir d’une passion, d’une volonté commune et d’une force physique et mentale partagée par les Seynois ». Une trace qui, même si elle s’estompe depuis trente ans, reste indélébile. La fermeture, incomprise et vécue comme une injustice, a entraîné la ville dans une profonde crise sociale, qui a duré. « Il planait une ambiance morose et ça concernait tous les Seynois. Car, à l’époque, personne n’avait de vision d’avenir. Cette ville s’est toujours appuyée sur une mono-industrie, sans penser à la diversific­ation. La principale raison de la fermeture, c’est qu’il n’y avait plus de commandes», explique Marc Quiviger, historien de La Seyne : « Il y a un demi-siècle, le nombre de travailleu­rs sur les chantiers était de 35 000 pour une population de 43 700 Seynois. Quand les chantiers ont mis la clef sous la porte, tous ces gens étaient tristes, car ils savaient qu’ils allaient être mangés. Ce n’était pas la faute des habitants évidemment, mais du gouverneme­nt de l’époque. Ça a été très compliqué, mais maintenant, il faut passer à autre chose. »

On nous surnommait “les enfants de Bogota”

ne sont plus trop intéressés par le passé et ne cherchent pas à connaître l’histoire de leur ville », reconnaît ainsi Jonathan, étudiant en commerce. Difficile en effet pour les moins de trente ans de se représente­r cette période. « Après la fermeture des chantiers, ce site est devenu un terrain de jeux pour nous », se remémore Majid, 33 ans, qui a passé toute son enfance dans les ruines des chantiers. « Le lieu était abandonné ; du coup, les fils des anciens travailleu­rs et les autres comme moi, arrivés quelques années après la fermeture, avons grandi au milieu de ces impression­nants bâtiments. On nous surnommait même “les enfants de Bogota”. C’était devenu un véritable lieu de rendez-vous, un melting-pot, un peu comme à l’époque où les ouvriers y travaillai­ent. » Les « anciens » avaient abandonné le lieu, pour tenter de se reconstrui­re un avenir avec leurs indemnités. « Après la fermeture des chantiers, l’État nous a distribué une prime et tout le monde s’était mis en tête d’ouvrir un commerce pour gagner beaucoup. Mais à l’époque, ils ont tous coulé très rapidement car plus personne n’avait d’argent », confirme « l’ancien » Pierre Schmutz. Aujourd’hui, à part l’hôtel Kyriad et le casino qui devraient être rejoints par un cinéma sur le site de l’Atelier mécanique, la sensation de no man’s land perdure, accentuée par l’âme des chantiers navals qui flotte au-dessus de la ville. Un souvenir qui ne veut s’envoler. Majid, 33 ans, qui a passé toute son enfance dans les ruines des chantiers

Une trace indélébile

Aujourd’hui, la population est scindée en trois catégories : les anciens travailleu­rs nostalgiqu­es, les plus jeunes et les néo-Seynois. Ces deux dernières symbolisen­t une nouvelle ère où les chantiers ne sont plus que souvenirs et vestiges. « Les jeunes de ma génération

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