Exilés loin de la ville ils aiment leur nouvelle vie
Xavier fait partie de ceux qui pensent que « c’était mieux avant ». Mais, contrairement aux vrais nostalgiques qui vivent dans le passé par principe, lui n’est pas du genre à rester bloqué dans son rétroviseur. Et c’est sans doute mieux ainsi. Car tous les matins depuis bientôt dix ans, Xavier a tout intérêt à regarder droit devant lui pour conduire son petit utilitaire entre sa maison du Luc et ses rendez-vous professionnels dans le Golfe de Saint-Tropez. Soit un trajet de « 40 minutes à une heure, en fonction des périodes ». Tel est le « prix à payer » lorsque l’on décide, comme lui, de devenir propriétaire dans l’arrière-pays. Sa famille vit dans le Golfe depuis plusieurs générations. Lui-même est né à Saint-Tropez il y a 46 ans d’un père maçon et d’une mère enseignante. « J’aurais préféré rester vivre là-bas », peste-t-il aujourd’hui, comme s’il n’avait pas encore fait complètement le deuil de ce « choix de vie » dont il se sent parfois un peu victime. « Mais le problème, explique-t-il posément, c’est que c’est devenu impossible de devenir propriétaire dans le Golfe, à moins d’être millionnaire ». Ce qui n’est pas son cas. Xavier est piscinier et ne roule pas vraiment sur l’or. Avant, il vivait à Grimaud. Coût de la location mensuelle pour un 80 m2 : 1 000 euros. Las de payer un loyer pendant toutes ces années, il s’est décidé à investir dans la pierre en 2007. « Au début, raconte-t-il, je cherchais plutôt sur Cogolin ou Grimaud, mais les banquiers ne voulaient pas me faire de crédit .» Il s’est finalement rendu dans les mêmes établissements bancaires, mais un peu plus loin, au Luc. Et là, banco : « Ça ne posait plus de problème du tout. C’est le seul endroit où je pouvais acheter. »
Des frais d’essence en plus
Le cadre n’est évidemment plus tout à fait le même. Adossée au massif des Maures, la commune (FN) du Luc (et sa dizaine de milliers d’habitants) n’est pas réputée pour son dynamisme. On est à mille lieues des plages de Pampelonne et de l’agitation tropézienne. Mais on ne peut pas tout avoir. « Ici au Luc, résume cet ancien espoir du Rugby Club Toulonnais, époque 92-94, une maison de village de 70 m2 avec garage se vend 130 000 euros environ. À Cogolin, c’est au moins le double. » Certes, il y a le carburant à payer. « Mais ce que je dépense en essence pour travailler, calcule Xavier, je le rattrape sur les courses de tous les jours. Les fruits, les légumes, le pain, et même l’essence, tout est moins cher ici alors qu’il s’agit des mêmes enseignes ». Xavier ne s’en cache pas. Ses motivations sont purement et simplement économiques. C’est même d’un « cri de colère » qu’il dénonce cette situation à laquelle sont confrontés de plus en plus de Varois et d’Azuréens, contraints de se réfugier dans les villages endormis de l’arrière-pays, où « tout est beaucoup plus calme. »
« Si vous aimez la nature, c’est magnifique »
Lui considère que les Provençaux sont devenus « un peu trop oubliés » à son goût. « Dans les Alpes, expose-t-il, les habitants du cru ont droit à des réductions sur les remontées mécaniques. Alors que
Impossible d’être propriétaire dans le Golfe ”
moi, si je veux louer un jet-ski à Saint-Tropez, je vais payer plein pot. » Enfin, s’il y a bien une chose qu’il regrette par-dessus tout, c’est « la manière avec laquelle s’est développée notre région». « Quand on voit tous les vignobles et les riches qui détruisent et bétonnent tout à coup de bulldozer, ce n’est pas étonnant qu’il y ait autant d’inondations », s’emporte Xavier. Depuis tout ce temps, il s’est un peu résigné. En essayant de savourer la quiétude qui règne au village. Il a appris à faire sans. Ou avec. Sans les « boutiques qui ferment toutes les unes après les autres ». Mais avec les charmes de l’arrière-pays et notamment ce petit lac situé en périphérie du Luc, où il vient faire du VTT le week-end. « Cet endroit, c’est un petit paradis, savoure-t-il. Si vous aimez la nature, c’est magnifique. »
« Les classes d’école sont moins surchargées »
La nature et le calme, c’est aussi ce qui a attiré Lisa et son mari Olivier. Née à Nice, cette femme de 39 ans habite maintenant dans une maison de village à Gattières, dans les Alpes-Maritimes, avec son mari charpentier de 35 ans. Un choix motivé notamment pour les enfants : « Les classes d’école sont moins surchargées, j’ai obtenu une place en crèche pour la plus petite sans aucun souci », souffle-t-elle, au dernier étage de sa maison de 175 m2 où son mari, bricoleur, a quasiment tout refait. Après neuf ans d’activité, elle se retrouve au chômage. Puis tombe enceinte, sans que les deux n’aient rien à voir. À Nice, on lui refuse une place en crèche. On lui dit même : « Vous n’avez qu’à garder votre fille, vous avez le temps. » Elle veut reprendre un emploi et continue à chercher, sa fille dans les bras. C’est lorsque cette dernière grandit que le déclic se produit : « J’ai vu les écoles de Nice, avec 500 enfants, j’ai pris peur… Je me suis dit que ma fille allait être perdue. » À Gattières, elle inscrit sa fille dans une école de 90 enfants où ils sont 20 par classe. « Et puis, pour un peu plus que le prix de notre F2, nous avons maintenant une maison de village avec deux chambres supplémentaires, un grand volume de vie, aucun bruit et les avantages de la vie de village avec l’entraide entre voisins, les enfants qui jouent sous les fenêtres l’été et connaissent le mot « lavoir » que même Siri ne connaît pas ! » Sans compter la taxe foncière : 1 100 euros dans leur précédent logement niçois contre 750 à Gattières.
Soif de liberté
Aujourd’hui, Lisa a trouvé un emploi d’assistante administrative et commerciale à la Société Technique d’Équipement dans la zone industrielle de Carros. Elle prend encore sa voiture mais pour quelques kilomètres. Son mari Olivier va jusqu’à Mouans-Sartoux. Il est loin le temps où Lisa devait aller tous les jours à JeanMédecin, au centre de Nice, galérer pour trouver une place de parking. « Ici, j’ai une liberté que je n’avais pas en ville. Et quand je retourne à Nice, je me sens vite agressée. Comme quoi, on s’habitue vite… » Tout ça ne l’empêche pas de voir certains côtés négatifs… qui ne le sont pas forcément pour elle : « Certains me disent qu’on marche beaucoup, retrace-t-elle, mais pour moi c’est une chance : on descend à pied pour aller à l’école et le soir on remonte. On prend son temps, chose qu’on a oubliée .»
« Retrouver mes racines»
Richard, lui, n’a pas le temps de s’ennuyer dans les embouteillages. Il a des horaires décalés et roule plutôt vite. Un matin de 1986, le bonhomme prend sa mini Austin 1000 Special et quitte la région parisienne en direction du sud de la France. Il a 21 ans mais déjà les idées claires : c’est décidé, il part habiter à Lucéram, un petit village de 1 200 habitants à 30 kilomètres de Nice où son grand-père fut garde champêtre. Aujourd’hui, ce pompier au CTA de Saint-Isidore a baptisé sa maison du nom de cet illustre ancêtre : « Marcelin ». « Ici, je connais tout le monde », dit-il fièrement, une parka Quechua bleue sur les épaules et une tasse de Ricoré dans la main droite. Derrière, sa maison entourée de gravats et d’herbes longues où broutent deux boucs commence à disparaître tant la lumière baisse en cette fin d’après-midi. « Pour moi, vivre ici, c’est retrouver mes racines. À chaque fois que je pars de Nice, je quitte le bruit. Je n’ai pas de problème de stationnement. C’est le bonheur ! » Chez lui, les toilettes sont sèches. Et, entre le crédit et les travaux, il paie environ 800 euros par mois pour une surface qu’il n’imagine même pas obtenir en centreville. « Il y a les frais de route mais si je compare les loyers en additionnant tout, c’est encore rentable », tranche-t-il. En contrebas de sa maison en désordre, le jardin du voisin, Yves, touche les 2 400 m2 de terrain de Richard. « Au début, ça a frité un peu », reconnaît le voisin en rigolant. Aujourd’hui, ils sont copains. Et Yves, carillonneur, a fait sonner les cloches à Richard pour ses 50 ans. « Certains disent qu’on est paumés, conclut Richard, mais j’ai fait tirer 500 mètres de câble pour avoir l’ADSL. Après, je n’ai pas Facebook, mais j’ai deux boucs ! ».
On prend son temps, une chose qu’on a oubliée” Je n’ai pas Facebook, mais j’ai deux boucs”
1. Application Apple qui comprend les instructions verbales et répond aux requêtes des utilisateurs.