La colère viendra peutêtre après ” À Juan, la clé sous la Bretagne?
Sa Bretagne à lui est une histoire d’amour. Douze ans que Bernard Matarasso, 58 ans, gère ce bout de paradis à Juanles-Pins. « Bretagne Beach », c’est une plage ouverte en saison, une douzaine de salariés l’été, des transats posés au bord d’une eau turquoise et limpide, et une vue à couper le souffle sur les îles de Lérins. « Bretagne Beach », parce que la compagne du premier propriétaire venait de là-bas. De Bernard, on voit d’abord son collier de barbe blanche surmontant un cou ceint d’un collier en or, à l’effigie de l’Île de Beauté. Puis on entend son bagou bien du sud, mâtiné de sa Corse natale et de Juan-lesPins. En ouvrant sa saison, il a prévenu son personnel :
«Ce sera peut-être la dernière. » Sur cette plage artificielle, où l’équilibre prévu par le décret plages est de 50 % privé, 50 % public, ce n’est pas la suroccupation qui pose problème. Ici les plages privées ne représentent que 38 % de l’espace. « Non, le souci, c’est la future délégation de service public et les contraintes imposées par la mairie », affirme-t-il. En fin de saison, il devra détruire son établissement, aujourd’hui construit en dur. « En lieu et place des 21 établissements, il n’en restera que dix, ainsi l’a souhaité la mairie. Mais comme je n’ai pas soumissionné pour reprendre la plage, et quelques-uns de mes collègues non plus, il en restera cinq, voire six. » Bernard ne rêve que de continuer à exploiter ce coin de paradis. « Mais au tarif où la mairie l’exige, ce n’est pas viable ! Le tarif qu’on nous propose, c’est plus cher que Cannes ! De 21 euros le m² on passerait à 45 euros le m². On double le prix du m2 sable ! Et, de 1,6 % du chiffre d’affaires, on passerait à 3,2 %» Le tout avec une surface exploitable réduite. « J’ai fait mes calculs, mes collègues aussi, les charges augmentent, la taille diminue, comment voulez-vous faire ?» D’autant qu’après la démolition en fin de saison, on contraint les exploitants à plus d’une année blanche, souligne Bernard. «Qui peut se permettre d’arrêter de travailler dix-huit mois pour ne reprendre qu’à l’été 2019 ? Et mes salariés, ils font comment ?» Bernard n’a donc pas soumissionné au nouvel appel d’offres. Un coup de pression ? « Non, je veux juste qu’un dialogue s’établisse avec la mairie. On nous demande de démolir à nos frais, d’investir dans du démontable, donc de louer un lieu de stockage pour l’hiver. Je voudrais que la mairie prenne conscience que nous sommes des professionnels. Je viens du milieu de l’hôtellerie et de la restauration, j’ai commencé à 18 ans, j’ai géré deux hôtels avant cette plage. Mon pauvre père disait qu’en s’asseyant autour d’une table il ressort toujours quelque chose de positif. Nous l’avons déjà fait avec la mairie, mais sans parler tarifs. Et là nous avons découvert des exigences intenables. » Bernard affirme ne pas être là pour faire pleurer dans les chaumières. « Il faut mesurer que nos plages privées sont pleines, il y a une demande ! C’est l’histoire de Juan-les-Pins. Aujourd’hui, ce sont près de quinze familles qui vont repartir sans rien. Ca fait mille emplois touchés ! Le tourisme, c’est un moteur économique ! » Bernard contemple sa plage, les premiers touristes lézardant sur les matelas, sirotant une boisson fraîche : « Vous savez, au-delà de tout ça, c’est de l’amour cette plage, comme pour cette Bretonne qui en a inspiré le nom. C’est l’âme de Juan qu’on est en train de toucher. Ca me rend triste. La colère viendra peut-être après. »