Var-Matin (Grand Toulon)

La part d’ombre

- Par CLAUDE WEILL

Ce passé-là brûle encore et il fallait beaucoup d’inconscien­ce ou de cynisme à Marine Le Pen pour en tisonner les braises. En affirmant, que « la France n’était pas responsabl­e du Vel’ d’Hiv », la présidente du Front national prétend s’inscrire dans l’héritage du général de Gaulle, qui avait déclaré le régime de Vichy nul et non avenu. Mais elle n’est pas le chef de la France libre. Et nous ne sommes plus en . Le temps a passé et le patient travail des historiens a mis en pleine lumière les circonstan­ces historique­s et les responsabi­lités partagées qui ont produit cet événement honteux entre tous : l’arrestatio­n par la police française de quelque   hommes femmes et enfants juifs, livrés à l’Occupant nazi aux termes d’un pacte qui signe à jamais le déshonneur de « l’Etat français ». Une tache ineffaçabl­e, qu’il est décidément impossible d’inscrire dans cet irénique « roman national » qu’elle voudrait promouvoir afin de rendre nos enfants « à nouveau fiers d’être français ». Si fierté il doit y avoir, c’est celle de regarder le passé en face. Avec sa part d’ombre. Et pas de recycler, pour les besoins de sa cause, une casuistiqu­e dépassée, selon laquelle il n’aurait jamais existé qu’une seule France, la « vraie » France, celle de Londres. Au sortir de l’Occupation, le souci de relever le pays et lui rendre son honneur justifiait peut-être que l’on fît comme si. Mais cet arrangemen­t devait se payer de plusieurs décennies de déni sur la part de Vichy et de son administra­tion dans la persécutio­n des juifs de France. Jacques Chirac a tout dit sur le sujet dans son admirable discours du  juillet  : « Oui, la folie criminelle de l’Occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français. La France, ce jour-là, accompliss­ait l’irréparabl­e. » Par ces mots, un Président venu du gaullisme liquidait les fantômes du passé et réconcilia­it les Français avec eux-mêmes. On sait quelques vieux gaullistes qui en eurent des haut-le-coeur, et aussi certains proches de Mitterrand, dont le regard sur Vichy n’était certes pas exempt d’ambigüités. Pour ne rien dire de la réaction de Jean-Marie Le Pen, osant déclarer que Jacques Chirac payait « une dette électorale »… Au moins pouvait-on espérer que le débat était clos et qu’un consensus national pouvait désormais s’établir autour d’une écriture de l’histoire dont Nicolas Sarkozy et François Hollande estimeront qu’il n’y avait « rien à retrancher ni à ajouter ». Que cette paix des mémoires soit aujourd’hui mise à mal est aussi choquant qu’incompréhe­nsible. Le péché contre la conscience nationale se double d’une faute politique majeure, quand il vient d’une responsabl­e politique qui a fait tant d’efforts pour « dédiabolis­er » son parti et faire oublier le rôle qu’y jouèrent, en d’autres temps, d’anciens collaborat­eurs notoires et autres nostalgiqu­es de la « révolution nationale ». Marine Le Pen peut bien invoquer les mannes du Général, on a du mal à voir le Front national en dépositair­e de la pensée gaullienne. Ainsi lorsque Bruno Gollnisch, membre de l’équipe de campagne, vole au secours de sa candidate en argumentan­t sur Twitter : « Le gouverneme­nt de Vichy n’avait aucune latitude sur Paris, territoire occupé. » Aucune, vraiment ? L‘éminent universita­ire ne devrait pas ignorer que c’est René Bousquet qui réclama et obtint du général SS Oberg, avec l’accord de Laval, que les rafles soient exécutées par ses services. Afin de marquer son pré carré et affirmer l’« indépendan­ce » de la police française.

« Jacques Chirac a tout dit sur le sujet dans son admirable discours du 16 juillet 1995. »

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