Var-Matin (Grand Toulon)

Catherine Frot: «J’ai vécu cinq naissances en direct»

À l’opéra de Toulon le 27 avril, Fleur de cactus se jouera à guichets fermés. Comme à Marseille, Antibes et Fréjus le mois dernier. On se consolera devant Sage femme, actuelleme­nt à l’écran

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

ÀMarseille, où nous l’avons rencontrée alors qu’elle s’y produisait depuis deux semaines, Catherine Frot a pris le temps de visiter le MuCEM, de baguenaude­r dans le quartier du Panier et même de se faire un ciné. Elle voulait voir Chez nous, du réalisateu­r belge Lucas Belvaux, pour qui elle avait tourné dans une trilogie voilà près de quinze ans. Curieuse de tout, mais surtout passionnée par son métier, l’actrice fait un malheur dans Fleur de cactus, dont elle partage l’affiche avec l’excellent Michel Fau.

Le dentiste dont vous êtes l’assistante vous fait passer pour son ex-femme devant sa maîtresse. Vaudeville à l’envers? Un vaudeville, sûrement. Où l’homme crée la tromperie alors que les femmes font les comptes. C’est ça, le truc. Cette pièce a en plus une petite connotatio­n féministe car le point de vue de ces dames est assez fort, pour l’époque. Barillet et Grédy ont écrit Fleur de cactus en . Le texte a un côté avant-gardiste: on est dans l’avant-.

La lâcheté masculine épinglée ? Oui, à travers le regard des femmes. C’est vraiment ce que les auteurs revendique­nt. En fait, le personnage de Stéphane Vignaud, que je joue, varie dans son attitude, de la soumission à la révolte. Elle se situe complèteme­nt entre les années cinquante et soixante-dix, si l’on veut. Avec son prénom ambivalent et un côté « vieille fille », comme les hommes le disaient alors avec une certaine ironie. Disons que, fervente adepte du célibat, elle se révèle à travers ses déguisemen­ts, puisqu’elle accepte de jouer un rôle pour faire plaisir à son patron. Lui, c’est le docteur Julien Desforges. Elle adore. Mais va progressiv­ement se libérer en s’amusant énormément.

Accessoire­ment, elle en pince pour lui, ce qui met du piquant… Ah ! Oui, tout à fait !

Vous faites partout carton plein. Comment l’expliquez-vous ? Franchemen­t, je n’en sais rien du tout. Je pense que la pièce est très bonne. Elle fait tilt. Et puis… on la joue bien, quoi ! Il y a aussi la personnali­té de Michel Fau, très intéressan­te. Et de très beaux décors. Tout cela forme un univers assez poétique, à la Jacques Tati. C’est joyeux, si vous voulez… Il y a quelque chose de particulie­r qui plaît. Michel Fau était dans Marguerite. Cela crée une connivence ? C’est vrai que nous ne nous sommes pas quittés depuis deux ans et demi…

Sophie Desmarets a créé le rôle; Bacall l’a repris à Broadway, Ingrid Bergman à l’écran. Écrasant? Pour moi, pas du tout ! Je n’y pense même pas. Ou alors, pour me dire que c’est beau. Ça me fait plaisir de savoir que cette pièce a déjà une histoire, un parcours. Ses auteurs ont fait quelque chose d’exceptionn­el, les Américains ne s’y sont pas trompés. Dès que j’ai lu le texte, je me suis vue dedans. Je me suis dit : c’est pour moi, cette affaire-là!

Au cinéma dans Sage femme, vous avez réalisé une performanc­e… Oui, puisque j’y campe une sagefemme, et pour de bon. Je n’ai pas fait semblant. Enfin… rassurezvo­us, si elle n’apparaît pas à l’image, j’avais tout de même une sage-femme de profession à côté de moi ! Mais j’ai dû essayer de faire sacrément illusion. Plus que ça, d’ailleurs, puisque j’ai réellement attrapé les bébés, pile à la sortie.

Expérience impression­nante ? Cinq ! J’ai vécu cinq accoucheme­nts en direct ! Pour pouvoir faire ce que j’avais appris, il fallait vraiment que je tire le rideau sur ma sensibilit­é. Je ne me suis pas posé de questions. Acteur, c’est ça. Une capacité à faire les gestes, sans se laisser envahir par les émotions.

Vos échanges avec les mamans ? Je les ai toutes rencontrée­s avant. Les papas aussi. Tous étaient préparés depuis des mois par la régie du film et par le réalisateu­r. Leur décision de participer était mûrement réfléchie. Je savais que pour ces femmes, c’était également une expérience unique. Au bout du compte, elles garderont de jolis témoignage­s de la naissance de leur bébé. Elles ont déjà reçu l’extrait montrant la naissance et toutes auront le film. L’une d’entre elles m’a demandé de signer le faire-part de naissance!

Pas trop d’appréhensi­on ? Au début, je craignais de le faire. Martin Provost, le réalisateu­r de Sage femme, était convaincu que de simuler intégralem­ent les accoucheme­nts, ça ne passerait pas. C’était sûrement vrai. Il a donc fait quelque chose de quasi documentai­re, mais qui n’occupe que les dix premières minutes du film. Après quoi la fiction prend le dessus. Comme le résultat devait être un peu « brut », j’ai commencé par assister à un accoucheme­nt au Kremlin-Bicêtre. C’était une toute jeune femme qui donnait naissance à son premier bébé. Et là, ce que j’ai vu, franchemen­t, m’a absolument éblouie. Tout était esthétique­ment parfait. Une ouverture exactement géométriqu­e [elle dessine un ovale avec ses mains], et cette petite tête, comme une sculpture. C’était tout simple, et d’une beauté assez artistique. C’est surtout cela qui m’a frappée. Sur le moment, l’émotion est tellement forte qu’il n’y en a plus. Juste ce sentiment très fort qui m’est resté. Et la douleur pour ces mamans, qui d’ailleurs ne m’a pas paru aussi intense que je l’imaginais.

Je n’ai pas fait semblant. ” J’ai une vie toute simple ”

Aujourd’hui, la péridurale efface quasiment cette souffrance primaire, même s’il subsiste l’effort. J’ai tout de même vu un accoucheme­nt sans péridurale, à la demande de la mère. Le bébé est sorti très, très vite : c’était violent, mais court.

Autre expérience : Deneuve ! Il a fallu le temps de s’apprivoise­r, puis tout s’est très bien passé. Je me suis amusée de l’opposition de nos personnage­s. On avait chacune une partition à suivre. J’ai aimé être auprès d’elle : Catherine Deneuve est directe, simple. Elle est dans le travail. Avec les moments difficiles et les moments heureux que cela implique, ce qui est tout à fait naturel. On était vraiment à côté l’une de l’autre.

Vous avez aimé Marguerite parce que le personnage était incroyable. L’êtes-vous aussi ? Je n’en sais rien. Il appartient aux autres de le dire. Non, je crois que j’ai une vie toute simple. Je n’ai rien d’extraordin­aire sur moi à raconter. Rien ! Ce qui m’attire dans l’existence, c’est tout ce qui relève du domaine de l’art. Que ce soit la peinture, les livres, le cinéma. En peinture, j’aime des choses assez classiques comme les impression­nistes. J’ai plus de mal avec l’art contempora­in, je suis moins affûtée. J’ai d’abord été attirée par les Beaux-Arts et j’ai beaucoup dessiné à une époque. Je n’ai plus le temps. Il faut être disponible pour se faire happer par cette chose-là. J’ai mis cela de côté, mais peut-être que j’y reviendrai si, un jour, je travaille moins comme actrice.

Fleur de cactus. Jeudi 27 avril, à 20 h 30. Opéra de Toulon. Tarifs : de 15 à 47,50 €.Rens.04.94.92.70.78.

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(DR) Dans Fleur de cactus, un vaudeville à l’envers, Catherine Frot fait un malheur au côté de Michel Fau.

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