1896 : la visite mouvementée du président Faure à Toulon
Dans la série sur les visites des présidents de la République dans notre région, après Émile Loubet à Nice et à Toulon en 1901, et Paul Deschanel dans les Alpes-Maritimes en avril 1920 (lire nos éditions de 9 et 16 avril), voici le président de la République Félix Faure du 2 au 5 mars 1896 à Toulon, Nice et Monaco. Il a été élu le 17 janvier 1895 à la suite de la démission de Casimir Périer – le président de la République au mandat le plus cours de l’histoire (6 mois et demi), incapable de s’imposer à son gouvernement. Félix Faure est ce président qui est resté célèbre dans l’histoire pour être mort en 1899 dans les bras de sa maîtresse, faisant dire aux historiens « qu’il fut plus célèbre par sa mort que par sa vie ». En 1895, il n’avait pas encore rencontré sa maîtresse. Le voyage sur la Côte d’Azur de Félix Faure avait pour but de présider la fête navale de Toulon et d’inaugurer à Nice et à Menton les monuments célébrant le centenaire du rattachement du comté de Nice à la France. Mais ce voyage fut surtout marqué par les manifestations populaires qui ont eu lieu à Toulon en soutien au président du Conseil, Léon Bourgeois, – équivalent du premier ministre actuel – qui accompagnait le président de la République dans son voyage. Le gouvernement de Léon Bourgeois n’était composé que de ministres radicaux, comme lui. Le Sénat lui avait déclaré la guerre, le trouvant trop à gauche, ce qui suscitait les réactions indignées des Toulonnais. Le magazine L’Illustration, de Paris, consacre la une de son édition du 14 mars aux manifestants toulonnais au pied du balcon de l’hôtel de ville, sur lequel se trouvent le président de la République, le président du Conseil et le maire Prosper Ferrero. L’Illustration relate les faits : « Le président de la République et le président du Conseil Léon Bourgeois s’étaient rendus à la mairie de Toulon, afin d’assister à la fête vénitienne organisée dans le port. Tous les ardents du parti socialiste, mobilisés, étaient là. Quand apparaissent MM. Faure et Bourgeois, ce public pousse des acclamations formidables et des vivats dont le plus grand nombre s’adresse au Président du conseil : “Vive le Ministère ! À bas le Sénat ! Continuez ! Vive le lutteur ! ” Les hommes se précipitent et pressent les mains de M. Bourgeois ; les femmes l’embrassent, et le président du Conseil a grand-peine à aller rejoindre au balcon le président de la République… » Les Toulonnais soutiennent fermement le président Bourgeois. Ils ne savent pas encore qu’un mois plus tard, lassé des attaques du Sénat, il finira par démissionner, avec l’ensemble de son gouvernement.
Nice française : l’hommage
La journée à Toulon se poursuit en visites et banquets avant la fête nautique « vénitienne » sur le port, le soir, et son beau cortège de bateaux français et italiens illuminés. Le lendemain, Félix Faure embarque pour les Alpes-Maritimes à bord du cuirassé Le Formidable. L’arrivée se fait à Villefranche-sur-Mer. L’inauguration du monument du centenaire, à Nice, a lieu le 4 mars, sur le jardin Albert 1er, face à la mer, en présence du maire Malausséna. Ce grand monument est dû au sculpteur toulonnais André-Joseph Allar, Grand prix de Rome. Nice a été rattachée une première fois à la France après la Révolution, en 1896, est revenue ensuite au royaume de Piémont-Sardaigne, puis est retournée définitivement à la France en 1860. C’est le premier rattachement qui est célébré ici. Des entrevues privées ont lieu à la préfecture de Nice avec le fils du tsar de Russie Nicolas II et à la mairie de Menton avec l’empereur d’Autriche François-Joseph, venu incognito au Cap Martin pour y rejoindre son épouse Sissi. Le 5 mars, le président Félix Faure inaugure dans le jardin Boviès à Menton un autre monument de commémoration du rattachement de la ville à la France.
Des « militaires d’opérette » à Monaco
Il se rend ensuite à Monaco où il est reçu par le prince Albert 1er. L’Illustration s’amuse à décrire l’ambiance de la Principauté : « Déjà la réception à l’entrée du territoire monégasque, devant la caserne de carabiniers de Saint-Roman, n’avait pas été banale : l’aide de camp du prince, le colonel de Castro, avait eu un franc succès avec son uniforme violet tout doré, tout chamarré, tout brodé, et son casque surmonté d’un immense panache rouge. Mais ce n’était qu’un commencement. Sur la place du palais était rangée toute l’armée monégasque au grand complet : soixantedix hommes commandés par leurs quatre officiers ! Le contraste était frappant entre ces militaires d’opérette et les cuirassiers français ». Ainsi s’achève la visite de Félix Faure sur la Côte d’Azur. Ce ne sera pas la dernière puisqu’il reviendra à Nice en 1898. Il rendra alors visite à la reine Victoria, en résidence à Nice, et fera une escapade dans l’arrière-pays. Une plaque sur l’hôtel des Alpes de Saint-Martin-Vésubie rappelle en effet qu’il y dormit le 5 avril 1898. L’Illustration signale qu’après cette remise de décoration, « le président a prononcé un beau discours lors d’un déjeuner offert au Casino par la municipalité ».