L’effet clochettes
Grand Toulon Depuis des semaines, horticulteurs et fleuristes travaillent d’arrache-pied pour que la tradition puisse être respectée ce lundi. Reportage entre La Crau, Ollioules et Toulon
Des serres de La Crau ou d’Ollioules, où il est cultivé, aux étals des fleuristes : le muguet reste le roi indétronable du 1er-Mai.
Les 2500 m2 de serres de la production Vignali, chemin de la Ruytèle à La Crau, sont une fourmilière. Une vingtaine de personnes, membres de la famille et employés saisonniers, incarnent les abeilles affairées. Qui trient les pots, qui nettoient, qui préparent les compositions florales, qui honorent les commandes. Le téléphone n’arrête pas de sonner, Martine Vignali n’a pas une minute à elle. À quelques jours du 1er mai, la production de muguet est à son apogée. 200 000 pots vont être préparés. Les gestes sont coordonnés, il n’y a pas lieu de chômer. « C’est une production potentiellement risquée. Il ne faut pas se rater, ne pas s’exposer à la casse des griffes, par exemple », explique Gérard Vignali. Les griffes étant le muguet à son état primal, une racine et une petite tête apparente, comme un radis qui sort de terre.
« Mon père n’a jamais fait la fleur »
C’est l’effervescence, soit, mais c’est aussi une drôle d’aventure collective. « On ne serait rien sans ce personnel, les chefs d’équipe, les petites mains qui donnent forme aux compositions, livre Martine. Le midi, on déjeune tous ensemble. On est très soudé. C’est le même personnel qui revient chaque année. Et cela compte dans la qualité du produit. » « Mon père n’a jamais fait la fleur. » À l’âge de 25 ans, Gérard Vignali s’est d’abord lancé dans la rose. Et c’est à la demande de ses clients qu’il a versé dans le muguet. « Ça a fait boule de neige. Mes principaux clients sont au rendez-vous depuis 25 ans », reprend Gérard. Des fleuristes du bassin hyérois et du Grand Toulon, des grossistes de Rungis, Toulouse, Marseille ou Nice. Au début de la production, il y a d’abord un voyage à Hambourg en octobre où Gérard Vignali choisit ses lots. La griffe allemande est la plus réputée dans le muguet. Nés dans des terres sableuses ou tourbeuses du nord de l’Allemagne, les plants offrent une tenue plus longue et une couleur blanche stable aux clochettes. Les Vignali délaissent les 1er et 2e choix pour ne se concentrer que sur les extras, surchoix et géants. Treize clochettes sur un brin équivalent à une entrée de gamme, même si certains clients tiennent beaucoup au chiffre 13 ! La plupart des acheteurs optent pour une plante fournie avec 18 clochettes. Certaines variétés offrent jusqu’à 22 fleurs sur un brin.
Le muguet pousse comme des endives !
Bref, de retour d’Allemagne, on commence d’abord par décongeler les griffes qui voyagent par -3°C jusqu’à La Crau. La plantation a lieu du 22 au 24 mars, c’est précis, fruit d’une expérience de 40 ans. Les plants sont placés sous un plastique noir pour forcer la pousse jusqu’à 7 cm. Après 68 jours, on enlève le plastique et le muguet commence à pousser, comme des endives ! Arrosage le matin puis bassinage (aspersion par fines gouttelettes d’eau) en journée : il faut conserver le taux d’humidité parfait. « Si le muguet est en avance, des pompes envoient de l’air à 5°C. S’il est en retard, c’est de l’air chaud à 15°C. Cette année, on a refroidi parce que ça poussait trop vite. » Résultat : le muguet est sur le point d’éclore, juste au
moment d’être offert à ceux qu’on aime. « Le secret de la production du muguet, c’est aimer le muguet ! », résume joliment Gérard Vignali. Il a beau l’aimer, le chérir, le muguet commence tout de même à lui briser les reins. Mais ses
deux filles et ses deux gendres sont là pour prendre la relève. Ainsi que Jérôme Poignard, un chef d’équipe qui le seconde depuis 15 ans. Le muguet craurois a encore de beaux jours devant lui.