Var-Matin (Grand Toulon)

A la vie, à l’humour ! Philo

Oui, l’humour a toute sa place dans la relation de fin de vie : le philosophe Eric Fiat en est convaincu. Invité par l’Associatio­n pour les soins palliatifs dans le Var, il explique pourquoi

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin. fr

Membre de l’observatoi­re national de la fin de vie et responsabl­e du master d’éthique à l’université Paris-Est Marnela-Vallée, le philosophe Eric Fiat sera le 3 mai prochain présent à Toulon, invité par l’associatio­n de bénévoles ASP-Var’(1) à donner une conférence sur le thème «L’humour dans la relation de fin de vie». Rencontre.

Il est peu fréquent de voir le mot humour associé à « fin de vie ». Pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer sur ce thème ? Je travaille depuis longtemps dans le domaine des soins palliatifs. Et j’ai observé chez les bénévoles un excès de gravité, de sérieux, qui parfois les prive de certaines ressources, et notamment de celles de l’humour, pourtant précieuses pendant cette période. Si on regarde ainsi ce qu’était l’accompagne­ment des mourants du temps de la veillée – bien décrit dans la chronique de Jean Giono, Les Âmes fortes –ilyavaitlà toutes les dimensions de la vie quotidienn­e, et notamment le rire.

Comment l’humour peut-il prendre sa place dans ces moments désespérés ? Peut-être parce que c’est la seule ressource qu’il nous reste. «Rions-en, de peur d’avoir envie d’en pleurer. » Boris Vian a défini l’humour comme la politesse du désespoir ; les moments les plus désespérés ne sont pas les moments où l’humour est absent. Si on s’intéresse à des humoristes comme Desproges, Devos ou encore Woody Allen, on s’aperçoit que leurs mots les plus drôles sont associés à des situations assez désespérée­s. Mais, bien sûr, l’humour c’est aussi une manière d’aimer encore plus la vie dans les moments où elle est particuliè­rement aimable. Il y a l’humour de ceux qui accompagne­nt, mais aussi, insistez-vous, de ceux qui sont accompagné­s. Comment le lire ? L’humour a quelque chose d’une bonté, d’une politesse, d’un altruisme : « La situation est désespérée, mais pas grave.» Même si cela apparaît à celui qui disparaît comme une catastroph­e, il y a, chez lui, une sorte de politesse à ne pas faire de son désespoir le centre du monde : « Je ne suis pas le premier et je ne serai pas le dernier à disparaîtr­e. » Je pense ainsi à une dame de  ans, Ginette, qui n’était pas loin de la fin. Je lui demandais : « Alors, comment ça va, comment beaucoup de bien. Dits par quelqu’un d’autre, ils auraient pu faire beaucoup de mal. “L’humour est une ressource”

Eric Fiat,

te sens-tu ? » « Ça va un peu mieux, me répondait-elle. Mais ça ira mieux dans  ans ! » Ça, c’est de l’humour. C’était une femme généreuse, humble ; elle ne voulait pas me faire de peine. Ces mots, dits par celui qui va mourir, fait

Mais l’humour dans ce moment n’est-il pas aussi une stratégie pour s’écarter de l’autre ? Non. Au contraire de l’ironie, l’humour n’est pas une stratégie, une mise à distance de l’autre. C’est une ressource pour celui qui part, qui lui permet d’écarter les affects les plus douloureux, mais en faisant ça, il nous

rapproche de lui. Si Ginette avait pleuré ou qu’elle n’avait rien dit, je n’aurais su comment me rapprocher d’elle. Dans ces situations désespérée­s, cette politesse du désespoir peut être un baume sur les blessures. Qu’est-ce qui fait qu’on s’interdise l’humour dans ces situations ? Je ne sais pas trop identifier les raisons. Il y a certaineme­nt la morale qui joue, même si on assiste à un émoussemen­t des injonction­s moralisatr­ices. Cela aurait pu être une chance pour l’humour, et cela n’a pas été le cas. Ce qui a surgi, c’est le rire systématiq­ue, celui des amuseurs, que l’on entend à la télé, avec des rires enregistré­s, et ça, ce n’est pas du tout de l’humour. On est passé de l’injonction « Il ne faut pas rire » à « Il faut rire ». L’humour, lui, n’est pas une injonction ; il vient du mot humeur. Il n’y a pas d’humour s’il n’y a pas un petit décalage par rapport à ce qu’on attendait. Les rires intempesti­fs lors des enterremen­ts ont-ils la même résonance ? Je ne mettrais pas sur le même plan l’humour et le rire. Ces fous rires, fréquents, relèvent du comique de situation. Il s’agit plutôt d’une défense ; ce qu’on vit est tellement tragique qu’on ne maîtrise plus ses émotions. C’est ainsi qu’on passe des larmes au rire.

Inciterez-vous les accompagna­nts à l’humour face à celui, celle qui part ? Surtout pas. Je ne voudrais pas que l’humour devienne une injonction. L’humour ne peut être prescrit, il ne doit pas être imposé, ni aux proches, ni aux bénévoles, ni à ceux qui partent. Et de façon générale, je n’aime pas qu’on dise ce que doit être l’accompagne­ment de fin de vie. Le réquisit minimal, c’est le respect que l’on doit à tous ceux qui partent. Mais s’il est toujours nécessaire, il n’est pas suffisant. L’accompagne­ment, c’est du respect et un « je-ne-sais-quoi », un « presque rien », adapté à la personne en face de soi et à son état. Si on dit que ce « plus » doit être de la compassion, de l’amour, de l’empathie ou encore de la sollicitud­e, on risque de normer cet accompagne­ment. Or, il faut, dans ces situations, faire du sur-mesure et pas du prêt-à-porter. Sans s’interdire d’aller chercher des ressources dans l’humour. ASP- Var : asp-var@wanadoo.fr ou 04.94.65.99.27. 1. Faculté de droit (amphi 200), 35 rue AlphonseDa­udet à Toulon. Entrée libre sur réservatio­n via le site : www.weezevent.com/conference-l-humourdans-la-relation-en-fin-de-vie.

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