Var-Matin (Grand Toulon)

Jérémy Ferrari: «Un spectacle sans filtre où je m’autorise tout»

- FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Il présentera son Deux 2 pièces à Beyrouth mercredi soir à Marseille, jeudi à Toulon et vendredi au Palais Nikaïa. Drôle de titre pour un show explosif où Jérémy Ferrari, en terrain miné, promet de faire rire en traitant des sujets les plus graves. Guerre, attentats. Rien que ça !

Dès le début du spectacle, vous désignez un spectateur. Votre capitaine de soirée ? Il faut resituer le contexte. J’ai commencé à écrire ce spectacle il y a quatre ans. Les attentats n’avaient pas encore eu lieu mais je parlais déjà de terrorisme. Un mois avant ma première, le Bataclan... Que faire? Même en respectant un délai de décence, j’étais obligé de l’aborder. Je me suis dit que le seul moyen de le faire sans générer trop de gêne, c’était d’aller au bout de l’horreur et de la provocatio­n. Je débute donc mon spectacle en annonçant que l’on va se faire attaquer. Au Bataclan, c’était un groupe de hard rock. Alors forcément, un mec comme moi qui se fout de la gueule de la religion depuis des années, on ne va pas y couper. Je désigne dans la salle un chef de la sécurité que je fais monter sur scène pour lui apprendre à désarmer un terroriste en lui donnant quelques notions de jujitsu.

Vous évoquez ensuite la traque des frères Kouachi… Après l’attentat du Bataclan,  hommes se mettent à leurs trousses. Et qui les débusque ? Un pompiste ! Je ne blâme pas la police, j’y ai beaucoup d’amis dont certains dans l’antiterror­isme. Ils font ce qu’ils peuvent et n’ont pas les moyens de surveiller  h/ h toutes les personnes fichées S. Cela étant dit, il y a clairement un manque d’efficacité. On ne réussit pas à rattraper ces deux types dont l’un a oublié sa carte d’identité dans la voiture ? Ils se paient le luxe de s’arrêter « tranquillo­u » dans une station-service pour acheter des sandwiches ? C’est donc qu’ils ne se sentent pas vraiment sous pression. Que se passe-t-il dans la tête de ce pompiste quand il les reconnaît ? J’essaie d’imaginer l’échange avec un mec désarçonné qui raconte «n’importe nawak» pour tenter de s’en sortir.

Sur l’air de La Bombe humaine. Entre autres. J’ajoute qu’ils ont des kalachniko­vs et moi des Mentos. Et c’est l’un des sketches les plus sages du spectacle. Le reste est beaucoup plus provocateu­r. Pourquoi aller aussi loin ? Deux raisons à cela. Après ma tournée Halleluja Bordel ! j’ai commencé à écrire Vends  pièces à Beyrouth dans une jolie maison que j’avais eu la chance de pouvoir louer en Espagne. Je me suis réveillé un matin en réalisant que je venais de rayer plein de trucs assez chouettes que j’avais écrits la veille : j’étais en train de m’autocensur­er. Par crainte peut-être de perdre un peu de mon confort, je commençais à faire ce que je reprochais aux puissants. Ne pas faire confiance aux gens, les prendre pour des idiots. Je m’en suis beaucoup voulu. J’ai donc décidé d’écrire un spectacle sans filtre.

Un devoir d’humoriste engagé ? Je crois qu’il faut être à la hauteur de la violence que subissent les gens. Je ne reproche pas aux humoristes de ne pas s’engager, il faut de tout. Moi, j’ai envie de tenir mes promesses en utilisant l’espace de liberté dont je dispose à la télévision ou sur scène. Aucune concession, je m’autorise absolument tout. Je sors des documents confidenti­els d’ONG et je cite des noms que les journalist­es ne veulent pas dévoiler. On aime ou on n’aime pas, en tout cas je ne mens pas.

Dire la vérité en révélant ce que la presse tairait, ça ne fait pas un peu « Dieudonné » ? Dieudonné est un cas d’école, ce qui clôt le débat. À partir du moment où vous tenez à l’extérieur les mêmes discours que sur une scène où vous êtes censé manier l’ironie, vous perdez toute crédibilit­é. Surtout, je tape sur tout le monde. Ce qui n’est plus son cas depuis longtemps.

Élie Semoun ose, lui aussi. Oui. Élie, qui est un ami, aborde dans son nouveau spectacle les attentats, le djihad. Disons que je suis le seul à en avoir fait un thème complet et récurrent.

Vous posez-vous la question de votre propre sécurité ? Je dispose d’une sécurité renforcée. Après, je ne veux pas céder à la peur qu’ont gentiment instillée les terroriste­s, bien sûr, mais également nos systèmes politiques qui veulent nous faire croire qu’aujourd’hui, les attentats seraient la principale cause de mortalité. Il faut quand même prendre un peu de recul et rappeler qu’on a plus de chances de mourir en prenant sa voiture. Ils ont attaqué un journal, un théâtre, la Promenade des Anglais et les Champs-Élysées. On reste chez soi ou l’on continue à vivre normalemen­t ? Ne cherchons pas de cohérence dans leurs actes, nous avons affaire à des fous.

Recevez-vous des menaces ? On ne va pas se mentir. Avec les propos que je tiens, j’ai régulièrem­ent des pressions et des menaces. Mais je n’en ai vraiment rien à foutre. Et même, comme je suis un sale gosse, plus on m’attaque, plus j’ai envie d’en rajouter.

Ce thème ne risque-t-il pas de dissuader une partie du public ? C’est un peu comme les montagnes russes : il faut monter dedans une fois pour être sûr que l’on ne supporte pas. Pour moi, quand j’entends «humour noir », j’imagine un mec qui va rigoler du cancer du poumon pendant une heure et demie. On n’est pas du tout, mais pas du tout dans ce que je fais. Je traite des sujets noirs par l’absurde.

Comment amener les gens à rire de ce dont ils ont peur ? En soulignant que l’absurdité de la réalité est imbattable. Un exemple : l’Arabie Saoudite qui décapite au sabre  à  personnes tous les ans rejoint la Commission de la condition de la femme à l’Onu. Comment faire mieux que ça ? En rire pour le dénoncer, c’est une façon de combattre. À condition de ne dire que la vérité. Raison pour laquelle avant d’écrire ce spectacle en six mois, j’ai passé deux ans et demi à étudier.

Il est vrai que vous aviez arrêté l’école assez tôt… À seize ans. J’ai la fierté d’avouer qu’en quittant la seconde, j’avais , de moyenne générale. Et encore, grâce à mes / en théâtre. Comme un objecteur de conscience, j’allais en cours parce que j’y étais forcé, mais sans stylo ni papier, ayant décidé de ne pas participer. J’avais l’impression de perdre du temps, convaincu de vouloir être humoriste. Je savais que j’en ferai mon métier. N’avez-vous pas failli renoncer ? D’abord, je vais souvent dans les écoles pour expliquer aux élèves que je ne suis pas un exemple à suivre. Ensuite, quand je suis arrivé à Paris, je ne savais pas qu’il me faudrait dix ans pour faire accepter mon humour. Comme je n’avais pas compris qu’il était très facile de mentir sur son CV, j’ai fait tout ce qui ne demandait aucun diplôme. Agent de sécurité, déménageur, groom, voiturier… Pour moi, c’était normal, je ne savais même pas qu’il existait un statut d’intermitte­nt du spectacle. Mais c’était découragea­nt car je n’arrivais à rien. J’ai fini par me dire que je n’avais pas de talent et, en effet, j’étais sur le point d’arrêter quand Laurent Ruquier est venu me chercher pour On n’demande qu’à en rire.

Désormais les grandes salles ? D’un point de vue personnel, un Zénith est grisant. Trois mille personnes devant vous, ça vous porte. Mais je ne le fais que si le spectacle s’y prête. Dans une salle plus petite, on ressent davantage les gens, une connivence s’installe. En réalité, j’aime les deux.

Depuis que « ça marche », que faites-vous de votre argent ? Je ne suis pas « blingbling ». Ni grosse montre ni voiture de sport. J’ai très vite acheté une maison à mes parents et je viens seulement de m’en offrir une. À part ça, je m’accorde deux à trois beaux voyages tous les ans, j’essaie de payer les gens correcteme­nt et je monte des sociétés pour produire d’autres artistes. L’argent, si vous l’utilisez bien, ce n’est pas forcément le mal incarné.

J’ai régulièrem­ent des pressions et des menaces ”

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