Le récit d’Andrée Laurent, résistante, déportée à Ravensbrück
Témoignage d’une rescapée des camps nazis, à l’occasion de la journée nationale du souvenir des victimes de la déportation
Lorsqu’elle monte dans le bus de la Croix Rouge suédoise qui libère le camp et l’éloigne de l’enfer, Andrée Laurent ne pèse que 25 kilos. Elle a 20 ans et vient de passer un peu moins de trois ans dans les camps. « Nuit et brouillard ». Vouée à disparaître. Pourtant, la jeune lycéenne de 17 ans qui a commencé à se révolter en distribuant des tracts dénonçant les mensonges du régime de Vichy, n’est pas morte. Et à 93 ans, livre d’histoire encore vivant, la vieille dame, toujours résistante, témoigne. Devant les collégiens de La Navarre, la voix claire, dans un silence profond, elle plonge dans sa mémoire et raconte l’impensable. Comment dans cette France divisée, et un Paris occupé, elle commence à distribuer des tracts : « Je voyais mes camarades disparaître du lycée et ne plus revenir. Leurs maisons occupées par d’autres familles. Et les explications que l’on nous donnait étaient impossibles. J’ai commencé à distribuer des tracts pour dénoncer les mensonges du régime de Vichy ».
Condamnée à mort
De mission en mission, Andrée Laurent entre dans un groupe de résistance. La répression faite aux opposants est sévère. La liste des fusillés s’allonge et de nombreux camarades tombent. Arrêtée à son tour par la police française elle est livrée aux autorités allemandes. « Ils m’ont battue très longtemps. Ils me frappaient sur la tête. Je m’évanouissais. Ils voulaient que je parle. Mais j’ai toujours été très têtue. Je n’ai rien dit. On m’a ramenée en sang dans ma prison à Fresnes. Et j’ai été condamnée à mort. » Pourquoi n’a-t-elle pas été fusillée alors ? Andrée Laurent ne le sait pas. La faire disparaître sans laisser de traces ? Probablement.
Tortures, humiliations
De Cologne, où on lui promet qu’elle sera décapitée, elle est finalement envoyée aux travaux forcés, au bord de la mer Baltique où elle découvre la dureté des camps. « Pour tout vêtement, nous avions une robe noire qui portait l’inscription “Française”. Ni bas, ni lainage, ni nom. J’étais très abîmée par mes tortures et j’ai survécu grâce à une camarade qui a pris soin de moi. » Puis, quelques mois plus tard, c’est Ravensbrück. « Le transport en train, les chiens, les baraquements, les châlits où il fallait dormir à quatre. La douche à l’entrée au camp avec un mauvais savon. La dernière avant sa libération... deux ans plus tard. Les maladies et la mort des camarades. La cruauté des gardiens. » La voix posée se souvient. « La nuit, les gardiens nous faisaient lever et, alignées, nous restions des heures dans le froid glacial. Pour rien. Simplement pour maintenir la terreur. Certaines mouraient. Il y avait des enfants avec nous. Ensuite, il fallait travailler avec pour toute nourriture un bouillon, un morceau de pain, un peu de margarine, et le “Kaffee”, une décoction de glands ».
« Soyez courageux, et solidaires... »
Le camp est finalement libéré par les Russes le 30 avril 1945. Andrée Laurent est très malade. Les camarades la portent pour la faire monter dans le bus de la Croix Rouge suédoise. « En Suède, nous avons été pris en charge à l’hôpital. Nous étions dans des états épouvantables. Personne ne pouvait imaginer ça. Pour ma part, je pesais 25 kilos, ma peau partait en lambeaux... » Si elle témoigne et accepte de faire remonter ces souvenirs jamais effacés, c’est pour que l’histoire ne se reproduise pas. « Si vous voulez comprendre la vie, être des hommes et des femmes responsables, insiste-t-elle, il vous faut comprendre et connaître l’histoire. Ne vous laissez pas porter par la haine. Ayez du courage, de la volonté, et surtout soyez solidaires. Il faut savoir vivre ensemble, tous, avec respect les uns pour les autres. Nous nous sommes battus pour cela, pour que vous viviez libres. »
La nuit, les gardiens nous faisaient lever. Simplement pour maintenir la terreur. ”