Un débat de postures
Le débat de second tour a clairement distingué deux visions de l’avenir. Sous le feu des assauts répétés de Marine Le Pen, Emmanuel Macron a rendu coup pour coup, sans se laisser déstabiliser
Les commentateurs les plus avisés prédisaient volontiers un débat à fronts renversés. Avec une Marine Le Pen qui se serait efforcée d’apparaître moins revêche, plus apaisée. Et un Emmanuel Macron qui se serait, lui, employé à forcer sa nature pour se montrer plus tranchant. Il n’en a rien été, ou assez loin s’en faut… Face à Nathalie Saint-Cricq et Christophe Jakubyszyn, chacun a, en fait, largement suivi sa pente naturelle hier soir. D’emblée, Marine Le Pen, agressive en diable, a choisi de mordre tous azimuts. Donnant, du même coup, l’occasion à Emmanuel Macron de se lover dans une posture professorale un brin condescendante, dans laquelle il se sent visiblement à son aise. En filigrane, s’est ainsi installée l’idée qu’Emmanuel Macron était le Président sortant, Marine Le Pen sa challenger. L’un comme l’autre y ont trouvé leur compte, à l’aune d’objectifs différents.
Macron pédagogue
On avait beaucoup gaussé jusqu’ici, et Marine Le Pen la première, sur le talent d’Emmanuel Macron à parler pour ne rien dire et à jouer les « oui-oui » lors des débats collectifs. Il faut rendre cette justice à l’ancien ministre de l’Economie : que l’on partage ou pas ses idées, il s’est – enfin ! – montré d’une grande clarté et d’une pédagogie indéniable dans l’explication de ses propositions. Emmanuel Macron avait un autre défi à relever hier soir. Prouver qu’il est davantage qu’un pur produit technocratique et qu’il peut aussi parler au peuple, voire s’en faire aimer au-delà d’un vote qui se dessine pour l’instant surtout par défaut, pour éviter le pire. S’il a bien maîtrisé ses argumentaires, malgré les piques à répétition de Marine Le Pen, l’ancien ministre aura moins convaincu sur ce volet. Sur le fond, les divergences sont apparues limitées sur les questions liées à l’emploi. La flexi-agilité du droit du travail, la négociation au sein des entreprises et le pragmatisme général proposés par Emmanuel Macron ne sont, finalement, pas si éloignés que ça de la négociation au niveau des branches vantée par Marine Le Pen.
Deux approches du terrorisme
La vraie divergence porte sur l’âge de départ à la retraite, que Marine Le Pen veut ramener à 60 ans (avec 40 annuités) « le plus tôt possible», tandis que son adversaire entend le maintenir à 62 ans, tout en harmonisant l’ensemble des régimes. La lutte contre l’insécurité et le terrorisme a, en revanche, mis en perspective des approches radicalement différentes, on le savait. Retour aux frontières nationales, expulsions des fichés S, déchéance de la nationalité figurent, entre autres, dans l’arsenal de Marine Le Pen. Estimant que «la fermeture des frontières ne sert à rien »,
Emmanuel Macron mise pour sa part sur le renforcement du renseignement et la coopération européenne.
Pour le coup, sur ce sujetlà, il sera apparu plus évasif
que son adversaire. « Notre République doit donner une place à chacun, nous avons une responsabilité, faisons notre propre examen de conscience », pose-t-il en préambule à la lutte contre la radicalisation, tandis que Marine Le Pen prône une approche plus directement judiciaire,
«d’une fermeté totale» bannissant «les accommodements déraisonnables ».
On ne peut faire opposition plus radicale et lisible… Elle se prolonge sur la délinquance plus habituelle. Là
où Emmanuel Macron mise sur une « police de la sécurité quotidienneavec pouvoir
d’amende », Marine Le Pen table sur des lois plus répressives. Les deux prétendants se rejoignent toutefois sur un point : l’abrogation de la loi Taubira, jugée pareillement laxiste.
Deux conceptions de l’Europe
L’Europe ne contribue pas à accorder les violons, on s’en doute. Marine Le Pen la conçoit comme un ensemble de « pays souverains maintenant leurs frontières et leur monnaie », l’euro devenant une monnaie commune et non plus unique mais les Français retrouvant le franc dans leur portefeuille ; Emmanuel Macron désire « une France forte dans une Europe qui
protège », dans laquelle il entend cependant lui aussi réviser la directive sur les travailleurs détachés. Tout cela dessine, au final, deux présidences franchement dissemblables. Il n’était nul besoin d’un débat pour s’en convaincre. Il aura, néanmoins, eu le mérite de juxtaposer ces deux visions clairement antagonistes. Le favori des sondages y aura sans doute assis sa suprématie. Matraqué deux heures durant par Marine Le Pen, il a su rebondir sur ce pilonnage incessant pour afficher son répondant. Et une carrure certaine, qui n’était pas forcément apparue évidente jusqu’ici.