Var-Matin (Grand Toulon)

Emmanuel Macron comme un ouragan

La victoire du candidat d’En marche! est finalement plus large que la prévoyaien­t les sondages. Mais ce succès relève pour beaucoup du rejet de Marine Le Pen. Et l’abstention a été très forte

- THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin

Ce matin, un homme balance sans doute entre la satisfacti­on et une sourde amertume : François Bayrou, bien sûr. « Pourquoi et comment ce jeunot a-t-il réussi là où j’ai toujours échoué?», doit-il s’interroger, admiratif. Par une improbable alchimie, Emmanuel Macron vient en effet de concrétise­r le rêve présidenti­el centriste sur lequel le maire de Pau s’est brisé l’échine quinze années durant. En réalisant, au passage, le deuxième meilleur score de second tour après celui de Jacques Chirac (82,21 %) en 2002. Même si son adversaire y est évidemment pour beaucoup, cela relève d’un sidérant coup de maître pour un quasi-néophyte en politique.

L’homme tombé à pic

Au terme d’une Blitzkrieg d’un an à peine, le jeune prétendant de 39 ans a porté le coup mortel à un système agonisant. Il lui aura fallu pour accomplir son destin un indéniable talent, couplé à une baraka monstre. Car depuis le lancement d’En marche ! en avril 2016, les astres semblent s’être donné le mot pour favoriser ses desseins. Les uns après les autres, ceux qui pouvaient lui barrer le chemin de l’Elysée se sont pris les pieds dans le tapis : exit, par ordre de disparitio­n, Sarkozy, Juppé, Hollande, Valls et Fillon. Macron ou l’homme tombé à pic, pile au moment où la France aspirait à se régénérer. Dès lors, l’affaire était pliée depuis le 23 avril. Mieux que d’autres, Emmanuel Macron a perçu que les Français étaient las des clivages partisans, sans avoir pour autant envie de s’engager dans une aventure lepéniste dont l’attrait ne dépasse toujours pas, pour l’instant, le simple besoin de défoulemen­t. L’espace d’une journée ou deux, en défiant son adversaire sur le terrain ouvrier à Amiens, Marine Le Pen a bien semé un léger doute après le premier tour. Ce fut un feu de paille.

Le Pen s’est fait hara-kiri

Il n’était nul besoin de front républicai­n exacerbé, en définitive, pour empêcher le Front national d’accéder au pouvoir. Marine Le Pen s’en est elle-même chargée ! D’abord en retouchant, dans la dernière ligne droite, un programme devenu incompréhe­nsible sur l’euro. Puis lors du débat, où elle a réactivé la peur en portrait craché de son père, tour à tour brouillonn­e et furieuseme­nt agressive. Bref, mauvaise et «manquant de hauteur»,

comme l’a étrillée Jean-Marie Le Pen, impitoyabl­e et lucide. D’aucuns pensaient que la nébulosité entourant son programme finirait par porter préjudice à Emmanuel Macron. Il n’en a rien été jusqu’ici, mais c’est maintenant que le plus dur commence pour l’ancien ministre de l’Économie, dont le résultat apparaît à la fois flatteur et insuffisan­t, dans la perspectiv­e d’une majorité claire pour gouverner. Face à Marine Le Pen, rassembler était (presque) un jeu d’enfant. Le nouveau Président va désormais devoir convaincre, prouver qu’il a la carrure, sans se couper d’aucun de ses électorats disparates, pour tenter de ramasser une nouvelle fois la mise aux législativ­es. Un bel exercice d’équilibris­me, alors que, dès hier soir, François Baroin, combatif, s’est efforcé de resserrer les rangs chez Les Républicai­ns. De retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle avait réussi à obtenir une majorité autour de l’UNR (Union pour la nouvelle République), qui avait balayé un grand nombre de députés sortants. Mais c’était de Gaulle…

Une légitimité encore à asseoir

Élu sur sa volonté de réunir une France plurielle, Emmanuel Macron va passer de la théorie à la pratique. Dans un pays plus fracturé qu’il ne le voudrait, ce sera tout sauf une partie de plaisir. Dès la semaine prochaine, la désignatio­n de son Premier ministre l’obligera à trancher une première fois et à sortir du consensus attrape-tout qu’il a si efficaceme­nt manié jusqu’à présent. Il risque d’y laisser des plumes, à gauche ou à droite. Le nouveau chef de l’État a également à convaincre la cohorte des abstention­nistes (11,5 millions), de ceux qui ont voté blanc ou nul (plus de 4 millions), ou qui l’ont élu par défaut, à l’instar de… François Hollande en 2012. Ce quinquenna­t, qui s’ouvre sur une formidable refondatio­n politique, apparaît en tout cas comme celui de la dernière chance avant l’arrivée au pouvoir d’un FN qui, avec autour de 11 millions de suffrages hier, a tout de même doublé son capital électoral en quinze ans. Le jeune homme pressé et brillant vient d’endosser une terrible charge. Il le sait, il n’aura aucun round d’observatio­n pour se faire la main.

 ?? (Photo AFP) ?? Emmanuel Macron devient le plus jeune président de la République. Cela valait bien un cérémonial savamment orchestré à son arrivée au Louvre...
(Photo AFP) Emmanuel Macron devient le plus jeune président de la République. Cela valait bien un cérémonial savamment orchestré à son arrivée au Louvre...
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