La Marine bombarde Sainte-Maxime
En 1936, dans le port de St-Tropez, un sous-marin tire des obus sur un yacht en flammes, afin d’éviter une catastrophe. Mais c’est sur Ste-Maxime que plusieurs d’entre eux explosent
En cette fin de journée du 17 juillet 1936, le port de Saint-Tropez regorge de monde. Une douce quiétude s’est emparée des lieux faisant oublier l’attaque d’un soleil de plomb dont certaines peaux portent la cicatrice rougeâtre. Une lumière apaisante incite à la flânerie et à la détente. Les terrasses des cafés sont bondées. Les promeneurs forment une procession ininterrompue. Chacun veut voir et être vu. Saint-Tropez est depuis quelques années la station à la mode. Elle accueille des touristes privilégiés : les congés payés ne sont pas encore rentrés dans les moeurs, même si le Front Populaire a fait voter la loi qui les généralise un mois plus tôt, le 11 juin 1936. Des yachts aux bois vernis et aux cuivres rutilants font l’attraction. Ils mouillent à côté d’un sous-marin de la marine nationale. Sa présence semble quelque peu incongrue dans ce port touristique où sont amarrés les luxueux navires de riches propriétaires. Son nom : Atalante. Ce submersible, de la classe Argonaute, de 630 tonnes a été construit aux chantiers Schneider de Châlon-sur-Saône à partir de 1928 et mis à disposition de la marine en 1934. Une partie des 47 hommes d’équipages qui le composent s’affairent sur le pont, ne prêtant qu’une attention distraite aux badauds. C’est alors qu’un des matelots renifle une odeur de fumée chimique. Elle s’échappe de la cabine du yacht voisin, L’hippocampe .Il en réfère immédiatement à sa hiérarchie. Ordre lui est donné de circonscrire ce début de sinistre à l’aide d’un extincteur. Mais lorsqu’il ouvre la porte de la cabine, l’appel d’air attise brutalement les flammes. L’extincteur ne suffit pas pour éteindre le feu, qui a trouvé une nourriture abondante dans cette foison de bois vernissé, d’étoffe et de sofa. Le risque est vite jugé majeur par le commandant du submersible. En effet, le réservoir d’essence contient plusieurs centaines de litres et il est très proche de la soute remplie de munitions du sous-marin. Une seule solution s’impose : remorquer cette bombe flottante hors du bassin. Déjà les curieux se sont agglutinés. Inconscients du risque encouru, ils gênent les manoeuvres des militaires, qui se hâtent de couper à coup de haches, les cordages tenant le bateau amarré à quai. Enfin, le navire est libéré de ses entraves. Des volontaires, à bord de petites embarcations à rame, le remorquent hors du port. L’hippocampe sera-t-il éloigné à temps des quais ?
L’Atalante tire sur l’Hippocampe
Le commandant du sous-marin ne veut prendre aucun risque. Il décide alors de couler à coup de canon ce satané yacht, pour noyer le feu. De toute façon, il est condamné à la destruction. Il donne immédiatement l’ordre d’appareiller et positionne l’Atalante pour ne pas rater sa cible. De l’autre côté du golfe, la petite cité de Sainte-Maxime, n’imagine pas qu’une menace pèse sur elle. C’est tout juste si les Maximois aperçoivent le panache de fumée noire qui s’échappe côté tropézien. Par contre, ils ont certainement entendu les détonations qui soudain déchirent la quiétude du jour. Le commandant de l’Atalante vient de donner l’ordre d’ouvrir le feu depuis le canon du pont. Une première, puis une seconde salve. Mais les obus manquent leur objectif et se perdent dans l’eau. Nouveaux coups de canons. Enfin un premier obus puis un second touchent la coque. Mais L’Hippocampe résiste. On réajuste le tir pour toucher au niveau de la ligne de flottaison mais l’obus
manque à nouveau sa cible, ricoche et fonce droit vers Sainte-Maxime. Plusieurs obus atterrissent et explosent le long du littoral. C’est la panique. Daniel de Germond, aujourd’hui retraité et historien reconnu, dans son ouvrage intitulé « Histoire et Histoires… de SainteMaxime » raconte ce rocambolesque épisode : « Deux matelots se précipitent alors portant des obus pour le canon du pont avant, ouvrent la culasse, agissent sur les manettes qui font osciller la pièce, en azimut et en zénith, pointent et font feu. Trop haut. Cet obus continuant sa course passe avec un « Bzouuuuuing ! » tout à fait caractéristique, au-dessus de la promenade de Sainte-Maxime. Il va jusqu’à casser la poutre d’un bâtiment place Louis-Blanc.
« On nous tire dessus, ce sont des obus », s’écrient quelques hommes qui n’étaient pas revenus de la guerre 14-18 depuis tellement longtemps. La foule court dans tous les sens. Certains se jettent à terre. Les cris montent le long de la mer. Les marins avaient seulement oublié que, derrière leur cible en train de se consumer se trouvait SainteMaxime. Les quelques obus suivants allèrent se planter dans la colline de l’Angéline, au-dessus de l’ancienne mairie aujourd’hui mairie annexe, fort heureusement sans construction à cette époque.
Des armes factices qui auraient pu blesser
En fait, ce que les Maximois ignorent, c’est que les obus en question sont des obus d’exercice. Ils ne l’apprendront que plus tard. Ils ne contiennent pas d’explosif. Il a été remplacé par du sable. Ce qui explique aussi pourquoi les sous-mariniers en tirent plus d’une dizaine pour venir à bout du bateau, qui flambe de plus belle. Par contre les Maximois auraient pu devenir les victimes collatérales de ces armes factices. Le maire de Saint-Tropez de l’époque est Léon Voltera, célèbre impresario, notamment celui de Raimu. Il est aussi propriétaire de plusieurs théâtres parisiens et également du château Voltera sur Ramatuelle. Il a quitté Paris le soirmême de l’événement pour assister à une séance du conseil municipal le lendemain. Séance particulièrement houleuse, portant sur des querelles de quartier. À tel point que Léon Voltera menacera de démissionner. Mais au bout du compte, il s’en sort mieux que L’hippocampe , qui est en réalité son ancien yacht. Il l’a revendu quelque temps auparavant. L’affaire fait grand bruit dans la presse locale et nationale si l’on en croit le témoignage d’un correspondant local qui écrit dans « l’écho du littoral et du Var » du 25 juillet 1936 : « Cette folle aventure devait prendre dès le lendemain la grosse vedette dans la presse française. Les canards volèrent en liberté dans le cadre étroit des colonnes de journaux et suivant sa verve imaginative chaque confrère romança si bien l’histoire du pauvre yacht et du sous-marin bombardeur, qu’en fin de compte ceux-là même qui furent les témoins les plus directs de l’accident et de ses conséquences finirent par ne plus rien y comprendre, selon qu’ils en lisaient la relation dans une feuille ou dans une autre. En fait, cette équipée double d’un yacht qui s’embrase et d’un bâtiment de guerre profitant de l’événement pour faire un peu d’école à feu sur une cible si lumineuse, fit beaucoup plus de bruit que de mal, puisqu’en définitive « la catastrophe » tourna davantage en vaudeville qu’en drame. »
« ‘’On nous tire dessus, ce sont des obus’’ s’écrient quelques hommes qui n’étaient pas revenus de la guerre 14-18 depuis tellement longtemps.» Daniel de Germond, dans son ouvrage intitulé « Histoire et Histoires…de Sainte-Maxime»