Var-Matin (Grand Toulon)

Floran Augagneur : « L’écologie doit renouer avec ses origines »

Le philosophe Floran Augagneur clôturera la 1ère édition des Rencontres de Correns, qui s’ouvrent aujourd’hui autour du thème du développem­ent durable

- PROPOS RECUEILLIS PAR G.A. gaubertin@nicematin.fr

Regrettez-vous que l’écologie n’ait peu ou pas fait débat pendant la campagne présidenti­elle ? C’est vrai que pour la première fois depuis longtemps, on n’a pas eu de candidat vraiment écolo. Celui qui a le plus repris le sujet (Hamon) n’a fait que %. Or, c’est le premier candidat PS de la Ve République qui a remis en cause le dogme de la croissance, ce qui est quand même énorme, car la social-démocratie est justement basée sur la croissance. C’est le coeur, l’ADN même, du projet social-démocrate. On peut donc dire que c’est déjà une victoire des idées contre les dogmes. Mélenchon a aussi repris le discours environnem­ental. Mais au final, on est loin de la pensée de Serge Moscovici, l’inventeur du discours écologique, qui est bien né en France, avec l’idée que l’on peut mieux vivre autrement, avec un rapport sain à la nature.

Comment expliquez-vous cet échec ? La Ve République est plutôt réputée anti-écologique. Et cette élection a été assez irrationne­lle du début à la fin. Le problème d’Hamon, c’est qu’il a joué le discours écolo et scientifiq­ue de la raison, en mettant en avant des universita­ires, des scientifiq­ues, des gens comme Thomas Piketty. Selon moi, son discours était trop axé sur la raison et pas assez sur la passion des foules. Ce qui a joué en sa défaveur.

L’écologie devrait donc être abordée de manière plus passionnel­le ? C’est un classique de la psychologi­e sociale : un individu ne vit pas et ne pense pas pareil seul ou en groupe. Il faut prendre cela en compte lorsqu’on est candidat à la présidenti­elle. L’écologie ne doit pas rester appuyée sur la raison, mais doit s’adresser aux passions, comme le faisait Serge Moscovici. Car aujourd’hui, on a tendance à vouloir faire de l’écologie à cause de la crise environnem­entale. Cet enjeu nouveau a été repris par les Allemands qui ont décidé de tout faire pour éviter la catastroph­e. Alors qu’à l’origine, dans la philosophi­e française, l’écologie consistait juste à mieux vivre. Le problème, c’est que depuis les années , on s’appuie trop sur le diagnostic scientifiq­ue, la raison individuel­le et la technocrat­ie

L’écologie doit s’adresser aux passions ”

pour susciter l’adhésion. C’est une erreur. Il faut remettre une dose de passion là-dedans, c’est le moteur de l’histoire.

Le développem­ent durable n’est-il pas une douce utopie ? Là encore, il faut intégrer la psychologi­e. Mais je pense que la question de l’environnem­ent est bien prise en compte. Tout le monde a intégré le discours. Je ne connais personne qui est antiécolog­ique, il faudrait être fou pour dire « je déteste la nature », ça relèverait de la pathologie. Tout le monde ou presque se revendique d’une certaine écologie. Les comporteme­nts sont juste plus longs à changer...

Comment faire bouger les choses ? Le fait de penser quelque chose n’induit pas forcément une action. Les gens agissent en fonction de leur passion et de leurs influences psychologi­ques. Il ne suffit pas d’avoir raison pour faire agir. Il faut aller plus loin, toucher le coeur, les passions, les croyances, c’est comme ça que les sociétés bougent, même si le chemin est plus long. L’écologie doit renouer avec ses origines.

Que peut justement apporter un événement comme les Rencontres de Correns ? C’est sur le plan local que l’on constate le plus d’inventivit­é et d’innovation. Je pense d’ailleurs que les grands changement­s émergent par le bas. C’est pour cela qu’il faut encourager les initiative­s locales. C’est une question d’échelle : il est toujours plus facile d’agir ensemble, mais en petit nombre. On le constate par exemple dans les villages comme Saillans (dans la Drôme) qui se sont lancés dans la démocratie participat­ive. Ce qui est possible à petite échelle perd toujours de la valeur quand la taille augmente.

Si les idées viennent du bas, les décisions sont aussi censées venir du haut ? À mon avis, il ne faut pas trop en attendre du « haut ». Certes, le changement n’est pas possible sans eux, mais ça ne peut partir que du bas. On n’est plus dans l’esprit très jacobin des débuts de la Ve République lorsqu’on espérait que les initiative­s nouvelles viennent des élites. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Ce sont les élites qui valident en bout de chaîne et ne sont plus les étincelles.

Le changement de comporteme­nt doit-il être d’abord individuel ou collectif ? L’enjeu de l’environnem­ent dépasse l’individu. Je crois à la réactivité du groupe. À plusieurs, on arrive à créer des choses, à être plus inventif. C’est pour cela qu’il est intéressan­t de générer des comporteme­nts de groupes. Là encore, la racine de la motivation ne doit pas être la raison, mais le fait de vivre mieux, autrement. Le coeur fait agir plus que la raison.

Est-il possible de passer d’un monde centré sur l’homme à un monde centré sur la nature ? L’homme fait partie de la nature. Il ne faut pas tomber dans un autre extrême, en considéran­t comme Spinoza que la nature serait parfaite sans l’homme… Pensez-vous que l’on devrait déjà apprendre à vivre ensemble avant de pouvoir sauver la planète? Pourquoi détruit-on la nature ? Pas parce qu’on la déteste, mais parce qu’il y a de la violence entre les hommes. Les inégalités sociales détruisent aussi la planète parce qu’elles créent une polarité au niveau de la société, du gaspillage, et en bas de l’échelle, ils n’ont pas les moyens de consommer des produits bio ou de qualité et achètent du low-cost au bout de la planète. Ces inégalités figent l’économie et créent même, à force, l’aveuglemen­t des élites, qui ne veulent plus êtres solidaires de la nation. À cause des riches, dont les pauvres sont les victimes, cela crée une injustice supplément­aire. Ce sont les inégalités qui génèrent tout ça et c’est le principal danger pour les mesures environnem­entales.

Peut-on concilier éthique et action des entreprise­s ? Et l’écologie a-t-elle sa place dans un système libéral ? On n’a pas le choix. Emmanuel Macron me semble intelligen­t, et donc on pourra peut-être obtenir des choses. Car on ne pourra pas gagner en éjectant des acteurs comme les entreprise­s. On ne peut pas faire sans elles.

Avez-vous des exemples d’actions citoyennes pour les maires en manque d’inspiratio­n… Il faut se sortir de l’idée qui il y a un standard, une idée révolution­naire. Chaque territoire doit s’adapter à ses contrainte­s, à ses attentes. Ce qu’il faut renforcer, c’est surtout la créativité des territoire­s et des gens qui les composent. En développan­t par exemple des méthodes de démocratie participat­ive. On doit faire preuve d’intelligen­ce collective. Mais il faut aussi qu’elle soit bien organisée.

On doit faire preuve d’intelligen­ce collective ”

 ?? (Photo DR) ?? Actuelleme­nt conseiller scientifiq­ue de la fondation Hulot, Floran Augagneur a publié en  Révolution­s invisibles, coécrit avec Dominique Rousset (Ed. Les liens qui libèrent).
(Photo DR) Actuelleme­nt conseiller scientifiq­ue de la fondation Hulot, Floran Augagneur a publié en  Révolution­s invisibles, coécrit avec Dominique Rousset (Ed. Les liens qui libèrent).

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