Bernard Plossu : instants d’éternité à l’Hôtel des arts
Le grand photographe français, installé à La Ciotat, livre une métaphysique sur la Méditerranée à travers des photos de Grèce, d’Espagne, d’Italie et de France. À voir dès aujourd’hui
« Qu’est-ce qu’il faisait là, ce portail, alors qu’à perte de vue, on ne voyait ni route, ni maison ? » Les tirages inédits de Bernard Plossu, exposés à l’Hôtel des arts, ne convoquent pas, cette fois, les visages ou les corps que l’on connaît du grand photographe français du Voyage mexicain (1). C’est dans un périple plus introspectif, vers une métaphysique de la Méditerranée, que l’artiste installé à La Ciotat nous emmène. De la Grèce aux suds de l’Espagne, de l’Italie et de la France. Les photos, prises sur trente ans, de ces pays et de leurs villes, comme Toulon, sont toutes ensemble et surtout pas identifiées pour une plus grande universalité. « La métaphysique, pour lui, c’est la puissance des ciels blancs, mais aussi de la terre écrasée par le soleil. Il nous emmène à penser dans d’autres dimensions », selon Ricardo Vazquez, commissaire de l’exposition. Et peut-être comme jamais, ce qui a nourri la pensée du photographe est ici dévoilé. Là, ce chien andalou, comme un clin d’oeil à Luis Bunuel, ici ce portail, comme pour nous plonger dans le roman La Piste de sable d’Andrea Camilleri (duquel est extrait le passage ci-dessus). Plus simplement, à travers ces lieux de travail, de vie, du quotidien et même ces pelles mécaniques pas belles que l’on ne veut surtout pas voir, « il cherche à nous inciter à voir la poésie et la métaphysique qui nous entourent ».
« Le hasard qu’on recherche »
Côtoyer Bernard Plossu, le temps d’une interview, nous fait vivre l’expérience. L’homme enthousiaste, qui a laissé pour une fois son appareil à la maison, photographie avec les yeux. Notre magnétophone, il s’amuse à le comparer à une guêpe(2). Garder un regard d’enfant sur les choses ? « Oui, à cent pour cent, acquiesce ce lauréat du Grand prix national de la photographie. L’adulte perd cette capacité et le danger est de croire qu’on sait tout. » En digne esprit surréaliste, il se refuse à analyser. « Morandi dit : “Je suis incapable d’expliquer pourquoi je peins”. Chaque fois qu’on medit: “Cette photo, on dirait un tableau”, je dis non, parce que ce n’est pas l’oeil qui fait la photo, c’est le corps. La photo n’a rien à voir avec la peinture. Par contre, j’ai besoin de la peinture. Je vais tout le temps aux expos, concèdet-il. Bien souvent, on dit que ma photo est liée à la littérature, mais c’est surtout à la danse. Ma femme me dit que je suis un danseur. Un bon photographe, c’est quelqu’un qui fait bouger son corps. » Dans L’Heure immobile (titre de l’exposition), même les objets en mouvements, voiture, camion... sont figés comme dans une éternité, « et pourtant, c’est curieux, je marche, je ne m’arrête jamais », fait remarquer le photographe âgé de 72 ans, qui revendique « quarante ans de moins» avec un appareil entre les mains. « Onaà la fois le hasard qu’on recherche et celui qu’on mérite. L’idée, c’est d’arriver dans une rue et d’en voir une autre, et d’avoir envie d’aller dans l’autre, de se dire, c’est peut-être là que ça va se passer. Là, il n’y a qu’un guide : c’est l’instinct, au pif ! Quelquefois, la rue où il ne se passe rien est photogénique et la rue où il se passe plein de choses ne l’est pas... Qu’est-ce qui fait qu’un camion est photogénique ou pas ? Je n’ai jamais su la réponse... Je crois que les gens viennent voir les expos pour ça. Pour voir pourquoi une maison leur parle...» Une belle métaphore de la vie, pour une exposition qui, contrairement aux apparences, met l’homme au centre, même si l’on n’en aperçoit qu’une fragile silhouette, à l’entrée.