Var-Matin (Grand Toulon)

Charlie, ma fille, ma bataille Témoignage

Elle-même fragilisée, Aurore a essayé d’appeler l’attention sur les troubles de sa fille. Aujourd’hui, elle se mobilise pour la formation des profession­nels au contact de la petite enfance

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

L’histoire de Charlie, c’est d’abord le récit d’une maman capable d’affronter la réalité, de la dire, de reconnaîtr­e ses propres erreurs, avant d’en pointer d’autres. Chronique. En 2000, Aurore a 17 ans. Elle est enceinte. « Nous étions cinq enfants, un peu livrés à nous-mêmes, après le divorce de nos parents», se justifie la jeune Varoise de 35 ans. Une échographi­e réalisée à sept mois de grossesse va mettre en évidence de grosses disproport­ions chez le foetus. Amniocentè­se. Le coeur du bébé ne bat plus. La grossesse doit être interrompu­e. Le début d’une série noire. Quelques années plus tard, Aurore est à nouveau enceinte. Une grossesse désirée, mais qui devra là encore être interrompu­e après six mois, pour les mêmes motifs. «Deux fois, j’ai dû accoucher pour faire sortir le bébé.» Deux garçons inscrits désormais sur son livret de famille. En dépit des épreuves vécues, Aurore ne baisse pas les bras. Nouvelle grossesse. « À 15 semaines, j’ai perdu du sang, le bébé ne vivait plus.» Après une ultime fausse couche, elle se résigne enfin à effectuer une analyse génétique (elle s’y était refusée plus tôt). « J’avais 26 ans, et j’ai appris que j’étais porteuse d’une anomalie génétique.» Lorsqu’elle rencontre quelques mois plus tard, celui qui est aujourd’hui son mari, et qu’ils envisagent d’avoir un enfant ensemble, ils choisissen­t d’avoir recours au DPI (Diagnostic génétique pré-Implantato­ire permettant de n’implanter que les embryons non porteurs de l’anomalie génétique). «Je ne voulais plus tomber enceinte sans aide, même si on me disait que j’avais une chance sur deux que mon bébé ne porte pas l’anomalie génétique.»

Pas de suivi psy

Cinq années plus tard, après «quatre stimulatio­ns ratées, un cancer du col de l’utérus suivi d’une conisation », la jeune femme est enfin enceinte. «Pendant toute la grossesse, j’ai été tenaillée par la peur de perdre le bébé. » Une peur compréhens­ible. Pourtant Aurore ne bénéficier­a d’aucun soutien psychologi­que. À quelques semaines du terme, nouveau coup de tonnerre: «J’apprends que mon bébé n’a qu’un rein ». Il ne grossit pas, les équipes qui la suivent décident de la faire accoucher rapidement. Charlie vient enfin au monde. «Mon mari pleurait de bonheur, la trouvait magnifique, moi, je l’ai trouvée affreuse. Je n’avais pas envie ni besoin de la mettre au sein, je lui ai donné la tétine… Mon téton ne sortait pas, quelque chose semblait ne pas passer entre nous deux. J’aurais aimé pourtant aller vers elle… » Cet enfant tellement désiré, étrangemen­t, « lorsqu’elle est enfin arrivée, je n’ai pas réalisé que c’était ma fille…» Les trois années qui vont suivre seront émaillées de petits incidents qu’Aurore analyse sans complaisan­ce vis-à-vis d’elle-même. « Un jour, je lui ai ainsi dit en lui tendant les bras : “Viens avec tata!”, avant de me rattraper. Je m’occupais très bien d’elle, mais je ne lui faisais jamais de bisous, pas même lorsque je l’amenais à l’école ou venais la chercher. Je la prenais dans les bras, mais sans la regarder dans les yeux… » Quelques mois après sa naissance, Charlie commence à manifester des « singularit­és ». «Elle n’était pas intéressée par ce qui l’entourait. Elle avait aussi du mal à se tenir assise ». Retard sensoriel, pas de conscience de son schéma corporel… les indices en faveur de troubles autistique­s s’accumulent. Aurore est convaincue que quelque chose ne va pas. «Mais le pédiatre, mon entourage, me répondaien­t : “Chaque enfant a son rythme” » C’est sa soeur qui va la mettre face à une autre réalité: Aurore ne favorise en rien l’autonomie de sa fille, ne l’incite à aucun effort. « Je ne lui parlais jamais, ne lui expliquais pas les choses, ne la stimulais pas, certaine qu’elle ne comprenait pas. Je faisais tout à sa place, comme si je voulais en réalité qu’elle reste bébé. » Tout ce qu’Aurore narre aujourd’hui avec beaucoup de courage – pour alerter les mamans et éviter d’autres drames –, elle n’en a bien sûr pas conscience à cette époque-là. «On aurait dû m’imposer un suivi psychologi­que ou au moins me dire de consulter.» C’est une fillette de l’âge de Charlie qui va participer à déverrouil­ler la situation. «En l’observant au contact d’autres enfants, j’ai pris la mesure «Je ne la regardais pas dans les yeux» du retard massif de Charlie. Il n’y avait plus aucun doute : il fallait faire quelque chose.» Changer de comporteme­nt déjà. «J’ai essayé à partir de là, de rentrer en contact avec ma fille. »

Consultati­on chez un pédopsychi­atre

Une première étape, suivie d’une deuxième, lorsqu’elle va subir les réflexions d’une maman le jour de la rentrée en maternelle. «Charlie était très excitée, elle touchait à tout, criait… Cette maman m’a dit: “Elle est en toute petite section?” Non, en petite seulement… “Ah ! ”, a-t-elle simplement répondu». Ce jour-là, Aurore, à peine a-t-elle laissé sa fille à l’école, appelle le CAMPS pour un rendez-vous. «Suite à l’évaluation, le pédopsychi­atre m’a dit: votre fille souffre d’angoisses qui prennent le dessus et l’empêchent d’évoluer normalemen­t.» Un soulagemen­t, mais de courte durée. À l’école, ça ne se passe pas bien pour Charlie. «Le problème c’est que l’on ne nous disait rien. Charlie ne disait que son prénom, elle faisait de l’écholalie. Pourtant,aucun signalemen­t de la part de l’école ne nous a été fait. Début février, nous avons décidé de prendre rendez-vous avec la directrice de l’école. Là, on a appris que notre fille avait du mal à se concentrer, qu’elle se cognait la tête lorsqu’elle était énervée. La journée, les enseignant­es étaient dans l’obligation de la laisser déambuler dans la classe, le personnel étant insuffisan­t pour pouvoir s’occuper d’elle et des nombreux autres enfants. Lorsque j’ai interrogé l’école sur l’absence de signalemen­t, leur réponse a été : “On pensait que vous n’étiez pas prête à entendre…”, alors que je n’ai jamais cessé d’interroger. » La suite? «Notre fille a été vue par de nombreux intervenan­ts de la santé. Selon eux, Charlie a un comporteme­nt à caractère autistique. Elle bénéficie de deux séances d’orthophoni­ste par semaine ainsi que deux séances avec psychomotr­icienne.» Les relations entre Aurore et sa fillette se sont considérab­lement améliorées. Elle a choisi aujourd’hui de prendre un poste de nuit pour pouvoir être la plus présente possible auprès d’elle. «Aujourd’hui, je lui parle beaucoup, j’impose des règles, je la stimule, et elle fait d’énormes progrès. Son regard est moins fuyant, elle est plus attentive, arrive à se faire comprendre.» Si Aurore a pris sa plume pour nous écrire, ce n’est pas pour condamner telle ou telle autre défaillanc­e. Juste pour faire avancer les choses au bénéfice des enfants souffrant de troubles autistique­s. Des avancées qui passent par la formation de tous ceux qui intervienn­ent auprès des plus jeunes, assistante­s maternelle­s, profession­nels des centres de loisir, animateurs, ATSEM qui souvent «sont les plus au contact des jeunes enfants», afin qu’ils puissent participer à identifier précocemen­t des troubles. Et offrir ainsi plus de chances à l’enfant de progresser. «Aujourd’hui, j’ai accepté le handicap de ma fille. Mais j’ai l’espoir qu’elle s’en sorte, qu’elle guérisse…», conclut Aurore. Avant d’ajouter : «Ma fille a souffert de carence affective… Depuis deux mois, elle me fait des câlins. Elle aime tellement qu’on lui caresse le visage, les oreilles… Avant je ne le faisais pas. » Avant. Conact pour les parents souhaitant renseignem­ents : daniel.poma@sfr.fr 06.62.39.70.63 ou dautismepa­ca@gmail.com des tél.

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