À Lorgues, un habitat coopératif pour briser la solitude ‘‘ Vieillir ensemble, acteurs et solidaires ”
Un portail grand ouvert donne sur une belle bâtisse en L. Éclairée par des volets bleus. Dans la cour, Élisabeth et Louis ratissent les feuilles des micocouliers. Ils s’interrompent pour nous accueillir dans leur « Oasis ». Le nom de ce lieu où vivent ces « coopérateurs habitants ». Une expérience qui s’est concrétisée à Lorgues, il y a quelques mois à peine. À l’initiative de cet « habitat partagé » : Louis et Françoise Clavier. « Je suis l’heureux propriétaire de cette maison, elle appartenait à mon grand-père, note Louis. Au milieu du XIXe siècle, c’était une usine de tomettes ; elle a fonctionné jusqu’aux années 1950. » C’est là que ce retraité, qui travaillait dans le domaine social à Toulon, a décidé de s’installer quand il a raccroché, en 2004. « Avant on s’échappait le week-end, on quittait Marseille pour le calme de Lorgues et de l’Oasis.» Un havre de paix où ils aiment se ressourcer, et ont donc élu domicile. Puis, il y a un peu plus d’un an, le couple s’interroge.
‘‘ Les loyers grimpent, les gens n’arrivent plus à se loger ”
«Je n’ai pas d’enfants, explique Louis , et à mon décès, je n’ai pas envie que la maison soit un objet de spéculation immobilière. C’est ce qu’il se passe dans la région : quand il y a des successions, très souvent, les promoteurs rachètent, rasent, construisent des résidences. Les loyers grimpent et les gens d’ici n’arrivent plus à se loger. » Alors, avec son épouse, ils décident de créer une coopérative d’habitants. De partager ce grand bâtiment en 8 appartements, et de permettre à des « coopérateurs » d’accéder à un trois-pièces, à un prix accessible. Chaque foyer a son logement indépendant, moyennant 500 euros par mois pour un troispièces de 60 m2. « C’est moins cher que sur le marché », note Françoise. En effet, dans ce village du Haut-Var, pour un logement de 36 m2 bien placé, il faut compter plus de 500 euros. Durée du bail ? «À vie », lance Louis dans un large sourire. «On met le capital à disposition. Les habitants coopérateurs doivent disposer d’un petit pécule, 20 000€ pour acquérir des parts sociales dans la Société coopérative d’intérêt collectif (Scic), détaille Françoise. Ça reste raisonnable, parce qu’on a la chance d’avoir déjà la demeure. Et le père de Louis avait commencé à aménager des appartements. » Les apports des coopérateurs permettent de financer l’isolation, la plomberie, l’électricité. « Dans d’autres projets d’habitat partagé où il faut construire, c’est plutôt de l’ordre de 200000€ .» Pour créer une salle à manger commune et réaliser une isolation avec des matériaux écologiques, ils ont prévu de lancer un financement participatif (1). S’ils apprécient de payer un loyer moins élevé que sur le marché, les habitants de l’Oasis trouvent dans cet habitat coopératif
d’autres motifs de satisfaction. Un quotidien fait d’échanges, de partage. Le plaisir de se retrouver dans des parties communes: la salle d’activités, la cour pour jardiner. Ou simplement se poser sur le banc et prendre le temps de discuter. «C’est une façon nouvelle d’habiter, parce qu’on se choisit », note Françoise Clavier. Assise à côté d’elle, Elisabeth Thibault-Spella, sa voisine, la corrige, tout en servant un petit café. Elle préfère le terme de cooptation. « C’est important de partager des valeurs communes de solidarité, d’entraide » ,enchaînent-elles. Un vivre-ensemble que ces habitants mettent en musique pour éviter la solitude, et la maison de retraite. « Avant, j’habitais un hameau à 4 kilomètres du village », raconte Élisabeth. Depuis le décès de son compagnon, il y a trois ans, la septuagénaire vivait mal son isolement. « Je redoutais de passer un nouvel hiver seule, làbas. » Elle esquisse un sourire. Puis se tourne vers Françoise et Louis. « Je les ai rencontrés par le biais de leur association Oasis et des groupes de lecture. Ils m’ont parlé de la coopérative. » Elle a vendu sa maison et s’est installée en novembre. « Ici, je me suis sentie bien tout de suite. » Elle a trouvé ses marques, dans son appartement. Juste à côté de celui de Sandrine. Cette enseignante est arrivée, elle, en août dernier avec son fils. « Je voulais me rapprocher du collège de Tom, et j’ai rencontré Françoise et Louis. » Les retraités lui proposent de rejoindre la coopérative d’habitants. L’idée la séduit, mais avant de se décider, Sandrine fait un essai. « Tom a eu le droit de grimper dans les arbres, alors on a dit “Banco”. » Ses cartons à peine déballés, Élisabeth a proposé de créer un jardin potager et a trouvé en Tom un assistant précieux. « L’autre jour, il fallait nettoyer le bassin. Il a grimpé et enlevé toute la boue. » Àl’ Oasis, les journées s’écoulent, paisibles, ponctuées par les allées et venues du collégien. Le départ au travail de Sandrine, les courses au village… « On se voit une heure par semaine pour discuter des choses à régler. On met en place un compost et on va engager des travaux dans la cour, car en raison de la pente, les eaux pluviales s’écoulent vers la façade, note Louis. Et comme on est vieillissants, on veut aménager de plain-pied les rez-de-chaussée, supprimer les marches, afin que chaque appartement ait un accès handicap. »