Grand Prix de Monaco :
La Principauté lance, cette année-là, la première grande course urbaine au monde, défiant la fédération internationale des clubs automobiles. C’est un Anglais qui gagne sur une Bugatti
0 kilomètres à l’heure ! Telle est l’incroyable, ébouriffante, et étourdissante vitesse moyenne atteinte le 29 avril 1929 par le pilote anglais William Grover-Williams lorsqu’il remporta le premier Grand Prix automobile de Monaco ! Il pilotait une Bugatti 35. C’était l’époque où les voitures de courses avaient la forme d’étroits baquets aux roues bien écartées. Les pilotes, coiffés de casquettes, protégeaient leurs yeux avec d’épaisses lunettes attachées derrière la tête. La Principauté avait créé une manifestation qui allait devenir célèbre dans le monde entier : le Grand Prix de Monaco ! On était dans l’entre-deux guerres. Le prince Louis II régnait sur Monaco. Les Années Folles battaient leur plein. René Léon, directeur de la Société des Bains de Mer (SBM), avait engagé la célèbre journaliste américaine Elsa Maxwell pour organiser des fêtes au retentissement international. Le Monaco Country Club avait été inauguré en 1928, s’ouvrant aux exploits de la championne de tennis niçoise Suzanne Lenglen. Le Palm Beach se dressait depuis peu au bout de la plage de sable du Larvotto, offrant le luxe d’un palace de Floride.
De la bicyclette à la voiture
Que d’imagination, de folie, d’efforts pour créer ce Grand Prix automobile. Tout remonte au 26 août 1890. Ce jour-là, des passionnés de… bicyclette créent l’association « Sport Vélocipédique de la Principauté » au sigle bien poli: S.V.P.! La bicyclette était reine à l’époque. Le Prince Albert Ier luimême traversait la Principauté à vélo. Peu à peu, la voiture arriva. Le 11 juin 1897, le maire Gastaldi prend un arrêté aux articles pittoresques : « - Les véhicules à moteur, autres que ceux servant à l’exploitation des chemins et fer et tramways, devront porter une plaque métallique avec le nom du propriétaire. - Ils ne devront laisser échapper aucun produit de nature à occasionner des incendies ou des explosions. - Leur fonctionnement ne devra pas effrayer les chevaux sur la voie publique, - Ils devront être munis d’un dispositif permettant de tourner dans les courbes, et de freins permettant l’arrêt instantané, - Leur vitesse ne devra pas excéder 10 kilomètres à l’heure. Leur mouvement devra être ralenti à l’approche des voitures à chevaux et dans la pente de l’avenue de MonteCarlo. - Leur approche devra être annoncée au moyen d’une corne, d’une trompette, d’une clochette ou de grelots suffisamment sonores, à l’exclusion de tout sifflet ou sirène à vapeur. »
Le projet confié au pilote monégasque Louis Chiron
Dix ans après, en 1907, la voiture est entrée dans les moeurs et l’association « Sport Vélocipédique de Monaco » devient « Sport Automobile et Vélocipédique de Monaco » (SAVM). Alexandre Noghès, directeur des finances de la Principauté, en prend la présidence. Il crée le premier Rallye de Monte-Carlo, qui se déroule du 21 au 29 janvier 1911, consistant à rallier Monaco en partant de Paris, Genève, Vienne, Bruxelles, Berlin. En 1925, la SAVM devient « Automobile Club de Monaco ». L’époque vélocipédique a vécu. Vive l’automobile ! Mais aussitôt, une grande vexation attend Monaco. La Principauté se voit refuser l’accès à la fédération internationale des clubs automobiles, sous prétexte qu’elle n’organise aucune compétition au sein de son propre pays. Le sang d’Antony Noghès, 35 ans, fils du président du club monégasque, ne fait qu’un tour. Il va alors concevoir un projet fou : créer une course automobile au coeur de la Principauté. Oui, en pleine ville. Empruntant des rues bordées de façades historiques, habituellement parcourues de touristes aristocrates et de belles sous leurs ombrelles. C’est pure folie ! Il y a une foule d’obstacles techniques à vaincre. Par exemple, la présence des pavés et des rails du tramway sur une partie du parcours, la différence de niveau entre l’actuel quai des États-Unis et le quai Albert-Ier sur le port, la déclivité entre les deux voies entourant les gazomètres - ces gros réservoirs de gaz de ville qui se trouvent au bout du port et qu’il faudra contourner. Qu’à cela ne tienne ! Antony Noghès confie l’étude du projet au coureur automobile monégasque Louis Chiron, connu pour ses compétences sportives, mais aussi pour son élégance et ses foulards à pois. Quatre ans plus tard, le 14 avril 1929, le prince Pierre – gendre de Louis II et père de Rainier III – inaugure le circuit à bord d’une Torpedo-Voisin conduite par le directeur de la course, Charles Faroux.
Un Français en pole position
Le jour fatidique arrive. Seize concurrents sont au départ. La réglementation est encore rudimentaire. La pole position est attribuée... par tirage au sort ! Elle revient au Français Philippe Etancelin sur Bugatti. Les essais officiels ont lieu les jours précédents. Le samedi matin, arrive un concurrent de dernière heure qui s’est livré à un entraînement quasi clandestin : l’Anglais William GroverWilliams.
La Principauté se voit refuser l’accès à la fédération internationale des clubs automobiles, sous prétexte qu’elle n’organise aucune compétition dans son propre pays. D’où la création de cette course automobile au coeur de la Principauté.
Le départ est donné. Seize bolides pétaradant s’élancent sur le port, abordent dans un brouhaha monstre le virage qui s’élève vers le casino. Très vite, dans la montée Beau-Rivage, on aperçoit, au milieu des fumées de gaz d’échappement, une voiture verte se porter en tête. C’est celle de GroverWilliams. Au départ, elle était sur la deuxième ligne. Les voitures tournent dans un grand vacarme vers le casino, contournent la façade Napoléon III du bâtiment, descendent hardiment vers la gare de Monte-Carlo (à l’emplacement actuel de l’Hôtel Fairmont), foncent vers le port. Grover-Williams est en tête. Le favori, l’Allemand Caracciola, sur Mercedes, à qui le sort a donné l’avantdernière position de départ, essaie de reprendre du terrain. Tour après tour, il grignotera des places. Au trentième tour, ses efforts ont payé : il dépasse Williams. Il est en tête. Derrière, les machines s’essoufflent. Une à une, l’Alfa Roméo de Zehender, les Bugatti de Dauvergne et de Lehoux, la Maserati de Sterlich abandonnent. Au dix-huitième tour, c’est l’Alfa Roméo de Perrot qui a perdu une roue. A l’avant, la lutte fait rage. Williams n’a pas dit son dernier mot. Au trente-cinquième tour, coup de théâtre, il repasse en tête. Mais, au quarante-neuvième, il ravitaille.
Catastrophe évitée
Caracciolla reprend hardiment la première position. Grover-Williams ne se décourage pas. Il sait que Caracciola n’a pas encore ravitaillé. Il le fait deux tours plus tard. Williams, qui attendait ce moment, reprend la tête. Il sent qu’il va gagner. Soudain, au quatre-vingtième tour, l’accident. Au sortir de la chicane, le marquis de Rovin, sur Delage, se retrouve dans les décors. On a frisé la catastrophe. Grover-Williams et Caracciola parviennent à éviter la voiture accidentée. L’Anglais est toujours en tête. Plus que vingt tours. Il ne cède rien. Plus que trois tours, deux tours. Il fait chaud. Le vacarme est assourdissant. Il n’y a plus que neuf concurrents en course. Entre-temps, le Roumain Bourianu, sur Bugatti, s’est invité dans le trio de tête. Plus qu’un tour. Le directeur de la course s’apprête à abaisser son drapeau lorsque Grover-Williams se présente seul à la sortie du dernier virage. Il a gagné ! Bourianu est à 1 minute 18 et Caracciola à 2 minutes 23. William Grover-Williams est le vainqueur du premier Grand Prix de Monaco ! Ce jour-là, il manquait toutefois un concurrent : Louis Chiron. Il s’était engagé depuis longtemps à courir aux 500 miles d’Indianapolis. Il participera au Grand Prix de Monaco l’année suivante, où il arrivera deuxième derrière le Niçois René Dreyfus, et le remportera en 1931. Interrompu pendant la Seconde Guerre mondiale, le Grand Prix de Monaco a repris en 1948, a été annulé en 1949, à cause du décès du prince Louis II, et a recommencé en 1950. Cette année-là, ce fut Fangio qui l’emporta sur Alfa Roméo. C’était la première grande victoire de la carrière du futur quintuple champion du monde argentin. Une légende était née.