Var-Matin (Grand Toulon)

Le combat d’une mère varoise contre les armes à feu

En 2016, Mireille Fornaciari a perdu son fils de 15 ans, abattu accidentel­lement. Elle vient de créer l’associatio­n « Ne touche pas à ma vie », pour responsabi­liser enfants et parents

- PROPOS RECUEILLIS PAR GUILLAUME JAMET gjamet@varmatin.com

Mattéo, 15 ans, a perdu la vie au soir du 12 avril 2016, atteint par une balle. Il se trouvait au domicile d’un ami de 17 ans. Ce dernier, membre d’un club de tir sportif, manipulait un pistolet appartenan­t à son père quand le coup fatal est parti. Le tireur a été mis en examen pour homicide involontai­re et placé sous contrôle judiciaire. L’instructio­n poursuit son cours. Plus d’un an après la mort de son enfant, l’incompréhe­nsion et la douleur sont intactes chez Mireille Fornaciari : « Je ne ferai mon deuil que lorsque je saurai ce qui s’est exactement passé… »

Vous venez de créer l’associatio­n « Ne touche pas à ma vie ». Quel en est l’objectif ? Je veux dénoncer la banalisati­on de la violence et de l’usage des armes, notamment chez les jeunes. On constate que les adolescent­s sont de plus en plus mis en présence de violence, quand ils n’en sont pas eux-mêmes les auteurs. Quelle forme pourrait prendre l’action que vous mènerez ? Ce n’est pas encore clairement défini. Il s’agit de faire de la prévention, d’informer des risques liés à la détention et à l’utilisatio­n des armes, éduquer au respect de la vie et prôner la non-violence.

Vous pensez qu’il est nécessaire de rappeler qu’une arme peut tuer ? Cela semble évident… Cela vous semble évident parce que vous n’avez jamais été confronté à cette violence. Il y a de nombreux foyers dans lesquels on trouve une arme, parce qu’on y pratique la chasse, le tir sportif, ou qu’on les apprécie, tout simplement. Ce sont autant de milieux dans lesquels un accident grave peut survenir, par maladresse ou inconscien­ce.

Tous ceux qui détiennent une arme légalement assureront qu’ils savent s’en servir et qu’ils respectent les dispositio­ns de sécurité pour éviter l’accident. Et pourtant, ce qui est arrivé à Mattéo n’est pas un cas isolé. Tout à côté, à Marseille, comme dans certains quartiers de Toulon, on s’habitue de plus en plus à entendre des coups de feu, ou à voir des adolescent­s se faire tirer dessus, mais il y a comme un tabou, une omerta sur cette situation. On refuse de voir que le phénomène est devenu banal. Pour moi, c’est d’autant plus impossible à supporter.

Ne pensez-vous pas que ce qui est arrivé à votre fils vous conduit à porter davantage d’attention à ce type de faits ? Il y a toujours eu des armes et des gens pour s’en servir, mais on constate une banalisati­on. Il est devenu relativeme­nt facile de se procurer des armes à feu. Si vous conjuguez à cela une dégradatio­n des liens sociaux, vous obtenez des situations dans lesquelles la mort peut facilement survenir. De quels liens sociaux parlezvous ? Regardez, par exemple, un village comme Rocbaron… Tout y semble paisible, mais les habitants ne se rencontren­t plus. Il y a eu de nombreuses installati­ons de jeunes actifs, qui ont trouvé là un moyen de se loger pour moins cher que sur la côte, où ils travaillen­t. Comme partout, des couples se séparent, et des enfants se retrouvent dans des situations d’isolement, de mal-être. On se croit tranquille, dans un petit village, mais «l’impensable » peut y survenir. Mattéo en est la preuve.

De nombreux adolescent­s subissent un mal-être et la plupart d’entre eux sont très connectés, via Internet ou leur téléphone… Ils ne sont pas isolés. Et certains parents, parce qu’ils n’ont pas conscience de leur malêtre, ou n’ont pas le temps d’en prendre conscience, les laissent s’enfermer sur eux-mêmes. Certains ados se gavent de télé, d’Internet, de jeux vidéo… Ils sont dans un monde virtuel, où la violence et l’usage des armes sont complèteme­nt « normales ».

La faute aux jeux vidéo... Ce n’est pas un peu caricatura­l ? C’est une entrée dans le monde de la violence. Cela habitue les ados à des images de meurtre de plus en plus réalistes. Ils sont marqués par elles beaucoup trop jeunes. Le jugement de certains peut basculer. Regardez, par exemple, ce qu’il se passe aux USA.

Il y a nettement plus d’armes en circulatio­n. Et nombre d’Américains estiment que c’est en possédant une arme qu’ils sont en sécurité… Et des adolescent­s perturbés surgissent dans les écoles en tuant tout le monde. C’est arrivé, chez nous, à Grasse, récemment. Si je comprends bien, les jeunes enclins à la violence sont davantage victimes que coupables… Que faire pour empêcher cela ? Il faut réveiller les parents, surtout ceux chez qui se trouvent des armes. Leur faire comprendre qu’il n’est pas acceptable que leurs enfants y soient confrontés. C’est l’inconscien­ce du problème qui conduit à cette irresponsa­bilité. On doit imposer des repères et des règles à un jeune, ne pas le laisser croire qu’il est en droit de tout faire, au risque de se tuer ou de tuer quelqu’un.

C’est un peu le propre de l’adolescenc­e : on repousse les limites, on prend des risques… Oui. Les parents ont peur que leur enfant se tue sur la route avec son scooter, qu’il se mette à consommer de la drogue, de l’alcool, mais ils ne voient pas forcément s’installer chez lui un comporteme­nt violent.

Concrèteme­nt, qu’attendez-vous de la création de votre associatio­n ? J’espère que le fait d’évoquer les circonstan­ces de la mort de mon fils va permettre à de nombreuses personnes, victimes comme moi, de sortir de l’ombre. Vous savez, quand on tue votre enfant, vous restez seule, parce que personne n’en parle, c’est trop lourd. Les mères sont dans une détresse terrible. Il n’y a pas que mon histoire… J’envisage de communique­r, par Facebook entre autres, jusqu’en Italie ou en Allemagne, dans l’Europe entière. Cela permettra à nous, les mères, d’être enfin reconnues, entendues.

La question est dure, mais nécessaire : tout cela n’est-il pas un moyen de vous aider à faire le deuil ? Certaineme­nt un peu, mais je veux aussi que la mort de Mattéo permettre de faire prendre conscience aux gens, de susciter une réaction de la part de parents, d’enseignant­s, d’éducateurs… Pour le moment, on est dans une phase de diffusion : on se fait connaître. On verra ensuite quelles actions concrètes nous entreprend­rons.

‘‘Ce

qui est arrivé à Mattéo n’est pas un cas isolé. À Marseille, comme à Toulon, des adolescent­s se font tirer dessus.”

J’espère qu’évoquer la mort de mon fils va permettre à de nombreuses familles victimes de sortir de l’ombre.”

 ?? (Photo doc Gilbert Rinaudo) ?? Jeudi  avril . Plus d’une centaine de personnes se sont réunies pour rendre hommage à Mattéo, mort le dimanche précédent. Un an plus tard, sa mère veut donner un sens à ce drame en créant une associatio­n pour lutter contre la détention d’armes et...
(Photo doc Gilbert Rinaudo) Jeudi  avril . Plus d’une centaine de personnes se sont réunies pour rendre hommage à Mattéo, mort le dimanche précédent. Un an plus tard, sa mère veut donner un sens à ce drame en créant une associatio­n pour lutter contre la détention d’armes et...

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