Var-Matin (Grand Toulon)

JACQUES DOILLON « Si Lindon m’avait dit non, il n’y aurait pas de film »

Plan séquence sur La Porte de l’Enfer. Cent ans après la disparitio­n d’Auguste Rodin,Vincent Lindon et Izïa Higelin réinventen­t l’art et l’amour dans l’intimité de l’atelier. Un retour en grâce pour Doillon en compétitio­n aujourd’hui ?

- par FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr @francklecl­erc06

V oilà un réalisateu­r heureux. Heureux de ce retour à Cannes et de la sélection en compétitio­n de son Rodin. Heureux aussi d’être entouré par des acteurs qui l’ont porté tout au long de ce projet, au premier rang desquels Vincent Lindon, plus engagé que jamais dans un rôle que beaucoup auraient jugé écrasant. Tout est parti d’un projet de documentai­re à l’approche du centenaire de la disparitio­n du sculpteur. « J’ai vite rendu mon tablier, ayant besoin de filmer des acteurs et non pas seulement des oeuvres », explique Jacques Doillon. «Depuis que je fais des films, j’ai toujours souhaité de plus en plus fort que le corps des comédiens parle, en quelque sorte. » Il a donc modelé ses personnage­s avec la précision

d’un praticien d’atelier. Veillant aussi à donner du relief à ses plans, s’interdisan­t exceptionn­ellement de multiplier les prises à l’infini, même s’il y en a davantage de son côté que chez la plupart de

ses confrères. «Je vois trop de gens avec des petits story-boards qui fabriquent leur film au montage », tacle Doillon. « Lorsqu’on s’approche de je ne sais quelle vérité, la part du hasard et de l’accident est très souhaitée. Il y a au moins autant d’instinct et d’intuition que de réflexion dans ma manière de faire du cinéma», poursuit-il.Le casting n’a« Là pas aussi, suscitéça collela moindreave­c Rodin. hésitation.» Izïa parce qu’elle Lindonest «un parcefeu de que joie»,lui seul à ses yeux pouvait donner toute sa valeur au projet. « S’il m’avait dit non, il n’y aurait pas de film. » Le voici donc dans la peau d’un solitaire qui travaille dans son coin et n’est peutêtre pas le plus amusant des hommes. « Quand il sort, Rodin a la plus grande difficulté à exister. Il peut parler de peinture un peu, sans doute aussi de dessin. Mais à part cela, l’avoir à sa table n’est pas la promesse d’une soirée magnifique. » Il doit y avoir chez Camille une vitalité inouïe pour que, tout à coup, le sculpteur s’intéresse à elle, pense Doillon. Mais derrière la sensualité, on devine les deux combattant­s qui mesurent leurs forces et leurs chances. « Rodin est inflexible quand des commandita­ires mettent en doute sa conception de son art, mais très défaillant lorsqu’il s’agit de faire face à la critique ou à l’opinion publique. » De son côté, elle a une part d’orgueil qui en fait un tyran. L’une des scènes préférées de Lindon, à raison, montre la jeune femme quittant l’atelier pour un séjour londonien dont Rodin ne saura rien. Une fuite dans un nuage de plâtre qui vient nimber Camille Claudel de la poussière des chefs-d’oeuvre.

« LORSQU’ON S’APPROCHE DE LA VÉRITÉ, LA PART DU HASARD ET DE L’ACCIDENT EST TRÈS SOUHAITABL­E »

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« Il y a au moins autant d’instinct et d’intuition que de réflexion dans ma manière de faire du cinéma », estime Jacques Doillon. (Photo Christophe Beaucarne/Les Films du Lendemain)

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