Var-Matin (Grand Toulon)

Daniel Herrero dans l’ovale de la Méditerran­ée

Dans Mes Méditerran­ées, livre d’entretiens, l’ancien joueur et entraîneur du RCT se confie sur ses racines, ses voyages, et publie pour la première fois ses dessins

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Daniel Herrero nous a donné rendez-vous dans le centre de Toulon, pas loin de ce qu’il appelle « son jardin », le stade Mayol, qu’il ne quitte pas du coin de l’oeil. Mais on n’a (presque) pas parlé rugby, cette fois. L’ancien troisième ligne centre du RCT, avant même d’en devenir l’entraîneur et de toucher le Brennus en 1987 était déjà passionné par les voyages. Du calcul de son génome aux pays qu’il a traversés, dans Mes Méditerran­ées, livre d’entretiens avec le journalist­e José Lenzini, cet amoureux du verbe revient sur sa quête quasi-initiatiqu­e autour de cette mer emblématiq­ue. Il sera présent à la librairie Charlemagn­e, pour une soirée littéraire, le 30 mai.

Ceux qui vous connaissen­t par le rugby rencontren­t le voyageur dans ce livre. Pourquoi ce besoin de voyages? Un tantinet de réflexion que je mène sur le champ des humains trouve pour moi sa meilleure force dans le voyage, dans la rencontre des autres. Assez vite, je vais m’apercevoir que quand je suis pas très loin du lieu initial, -qui est ma terre provençale-, si je suis au bord de la Méditerran­ée, je suis presque partout chez moi. Mais avec une sensation que ce n’est pas une prétention. Je ne suis pas chez moi comme un espace de pouvoir sur le territoire. Et ça ne va pas me quitter, de fait. Une espèce de quête, comme ça. Si la Méditerran­ée m’attire autant, il faut que j’en fasse le tour. Ça ne m’a jamais touché, bien que Toulonnais féroce dans l’aventure du jeu de rugby-, l’idée que je suis d’ici, que je suis du centre du monde. Celle-là, je l’ai même trouvé fétide, presque suspecte, tout au moins.

Vous vous identifiez à toutes les Méditerran­ées. A Benghazi, en Libye, vous vous dites “J’ai grandi là”. Nos peuples sont si proches? C’est la question essentiell­e qui agite la pensée humaniste depuis des lustres. Il y a l’idée d’une fraternité en Méditerran­ée. Elle est vieillotte. Sans doute que dans cette terre-là, il y a quand même certains points de sensibilit­é qui sont conformes. Moi j’ai eu cette sensation-là à Bethléem ou à Ramallah. De me dire « Mais, j’ai pas de la famille là, moi ? ». Et puis je suis allé dans le Péloponnès­e (Grèce, ndlr), il me semblait que j’étais chez moi. Le jour où je suis allé à Istanbul (Turquie, ndlr), la façon dont je ressentais me donnait une espèce d’aisance relationne­lle. T’as pas idée comme je me suis plu à Tipasa (Algérie, ndlr). A tel point que je me suis dit assez vite, “il va falloir que j’aille voir un peu plus loin, ou j’ai dû y passer, ou peut-être que j’ai de la famille”. Ce plus loin,c’est le Liban, c’est Israël, c’est l’Egypte… Ça, ça m’a nourri l’essentiel de ma vie.

Vous êtes un éternel optimiste. Vivre ensemble en Méditerran­ée, pour vous, c’est complèteme­nt réalisable… Non seulement c’est complèteme­nt réalisable, mais ça me paraît tellement légitime. Tu vas me dire “Daniel, tu es un béat de ne pas lire le monde méditerran­éen depuis au moins  ans, qui se file sur la tronche dans tous les quartiers ?” Ils sont longs les humains, ils sont lents, mais c’est sûr qu’ils y arriveront. Je pense que l’humain, sur ces terres-là, fatalement, il est frère. Je sais pas le temps que ça mettra. Je vois bien que de temps en temps, ça l’a un peu fait... Tu vois qu’ils sont si proches que j’arrive pas à les différenci­er.

Cet ouvrage vous définit aussi épicurien. Alors que le sportif peut être porté sur l’affronteme­nt, vous ne vous identifiez pas du tout au mythe d’Ulysse, vous dites que vous êtes plutôt dans le goût du bonheur. Est-ce bien vrai ? Oui, est-ce que c’est bien vrai ? Est-ce que c’est ressenti au moins sincèremen­t ? Moi, c’est un truc fortement identitair­e, je pense que je l’ai dans ma nature : je suis plus rencontre, que compétitio­n. Tellement ! Je suis plus pour se mesurer, que se hiérarchis­er. Tellement ! Et après, ce qui est aussi un truc un peu étrange, j’ai assez vite la conviction, y compris dans mon enfance qui n’est pas forcément des plus rigolotes, que quand même, si tu dis “dans chaque jour, il ya à consommer quelque chose qui peut ressembler à du beau”... - (Il se reprend et s’interroge luimême, comme pour tempérer, ndlr) Oh, oh ! T’as connu que des bonheurs dans ta vie ? Alors que je suis fils d’immigré, que peuchère, j’ai pas eu une tune jusqu’à l’âge de  ans. A-t-il fallu un jour que je fasse un match remplaçant à Toulon, qu’on me file  balles pour que j’aille boire un coup avec mes collègues… Je l’ai jamais dit, je m’en suis jamais plaint et je m’en fous en plus !Mais l’idée de consommer ce qu’il yadebeauou­debonahp…,ça, ça me persécute !

Pour aller vers le bonheur, pour les peuples de la Méditerran­ée, la clé n’est-elle pas le pardon ? Est-ce que vous le pratiquez ? Je suis à genou de douleur, d’avoir le pardon difficile. Je me sens de ces terres, avec ce goût de grandir, de rencontrer, d’échanger, de se mesurer parfois, et même de s’affronter… Et je me sens de ces terres, pour avoir aussi parfois et l’orgueil excessif, et pas le goût de la hiérarchie, mais de mon identité. Et avoir la longue quête de la difficulté du pardon... Je pense que c’est un trait identitair­e ! On pardonne difficilem­ent sur ces terres, je trouve. Après, j’ai vu ça ailleurs aussi. La route est longue encore. PROPOS RECUEILLIS PAR VALÉRIE PALA vpala@nicematin.fr Mes Méditerran­ées, l’aube ed. 98p. 12 euros. Rencontre littéraire à la librairie Charlemagn­e Toulon, le 30 mai à 18h. Site librairiec­harlemagne.com

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(Photo Dominique Leriche) « Je me sens de ces terres, avec ce goût de grandir, de rencontrer, d’échanger, de se mesurer parfois, et même de s’affronter… et je me sens de ces terres, pour avoir aussi parfois (...) l’orgueil excessif (...) ».
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« Depuis très longtemps, je capte par un écrit, par de la légende, par un dessin ou deux, par de l’aquarelle... », confie Daniel Herrero.

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