Var-Matin (Grand Toulon)

« Il faut que ça change pour éviter de telles horreurs »

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« J’ai senti le danger. Ensuite, j’ai ressenti de l’écoeuremen­t, de la peur. Ce jour-là, je l’ai échappé belle! » Un demi-siècle plus tard, Serge Audisio n’a rien oublié. Ce Niçois de 64 ans, établi à Toulon depuis vingt ans, a eu une vie familiale épanouie – sa femme Danièle a mis au monde deux filles. Serge a connu plusieurs vies : il a travaillé chez Manureva, dans la police, est devenu pasteur, avant de se retrouver au chômage. Mais jamais, tout au long de ces années, il n’a oublié sa rencontre avec l’abbé Dallas. Issu d’une famille ouvrière, Serge grandit « dans une cave » des beaux quartiers niçois, au Mont Boron, puis à Magnan. Sa famille paternelle fricote avec le banditisme, se souvient-il. Lui-même suit une scolarité normale. Les faits qu’il dénonce remontent à 1964-1965. « Je devais avoir 11, 12 ans. J’avais une foi d’enfant, mais je ne comprenais rien au catéchisme ! », sourit-il. Enfant, Serge fréquente la paroisse de l’église Sainte-Thérèse, où l’abbé Dallas bénéficie d’une indéniable aura auprès des pitchouns. « Avec ses cheveux grisonnant­s, il me faisait penser à Gary Cooper, se remémore Serge Audisio. Je le trouvais paternel, rassurant. Je pouvais l’accompagne­r dans ses visites. Dans son bureau, il y avait des piles de BD, une atmosphère apaisante... Je ne pouvais pas me méfier de ce prêtre. » Un épisode va pourtant bouleverse­r leur relation de confiance. Et marquer à jamais le jeune garçon.

« J’ai craqué devant l’ordi »

« Un jour, il m’a dit: “Viens voir, Serge, j’ai une nouvelle bande dessinée”. J’étais un peu intrigué, pourquoi ne me la tendait-il pas ? Mais je me suis approché en toute confiance. Il m’a fait asseoir sur ses genoux. Il m’a pris avec son bras, légèrement serré... Et là, j’ai senti quelque chose de chaud. Je me suis retourné et j’ai vu son sexe sorti, en érection. Étant gamin, je n’en avais jamais vu... J’étais effrayé. » Quelles furent les intentions exactes du prêtre à son égard ? Serge Audisio ne le saura jamais, grâce à son réflexe salvateur. « Quand il a vu que j’ai vu, il m’a serré un peu plus contre lui. Et d’un coup, j’ai eu une peur invraisemb­lable. J’ai sauté en l’air, tout envoyé valdinguer sur le bureau, et couru vers la porte. En m’échappant, j’avais peur de croiser un autre prêtre qui m’arrête... Quand j’en parle à mes amis, je leur dis: “Depuis, je cours toujours !” » Serge Audisio relate la scène avec le recul de celui qui l’a décrite cent fois. Avec un sourire fugace au coin des lèvres, et un voile d’amertume dans le regard. Il pensait avoir échappé à tout traumatism­e. Et puis il y a eu ce choc, voilà quelques mois, avec le témoignage d’un internaute dénonçant le même agresseur. « J’ai craqué devant mon ordi. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. » « C’était comme si une digue avait cédé », témoigne Danièle, marquée par la violence de la scène. Celle qu’elle a vue. Mais aussi celle que son mari lui a relatée. « Comme un viol », à ses yeux. La course effrénée de Serge l’a éloigné à jamais de l’Église. Sans pour autant l’amener à s’en ouvrir d’emblée. « Dans ces cas-là, l’enfant culpabilis­e. J’en ai parlé à mes parents à l’adolescenc­e. Mais à l’époque, on ne savait pas réagir face à ces choses-là... Ils n’ont rien dit. Dans mon coeur, je leur en ai voulu. »

« Apporter ma pierre... »

Son coeur, son âme, resteront marqués au fer rouge par cette expérience juvénile. Sans que lui-même en ait conscience. « C’est comme si on était amputé de quelque chose, et qu’on n’était pas pleinement soi tant qu’on n’a pas pu l’exprimer. En parlant, on s’aperçoit qu’elle a causé un traumatism­e très profond. » L’épisode n’aura en rien perturbé la vie affective et sexuelle de Serge. Il lui a, en revanche, conféré un profond sentiment d’insécurité. Intimement rongé par ce secret, Serge a décidé de parler en voyant éclater au grand jour les scandales de pédophilie ecclésiast­ique. «Je n’étais pas conscient que cela pourrait soulager. Je voulais juste témoigner, car je trouvais inadmissib­le qu’une institutio­n religieuse ait toléré de tels individus en son sein, en faisant mine de ne pas savoir. C’était juste pour apporter ma pierre à l’édifice. » Au risque de jeter l’opprobre sur l’institutio­n toute entière ? « Certains pourraient penser que c’est la dernière mode. Mais ça n’a rien à voir!, martèle Serge. C’est juste qu’il faut briser cette loi du silence et que certains faits sont condamnabl­es. Il faut que ça change. Pour que de telles horreurs n’arrivent plus. » Voilà quelques années, Serge a contacté le diocèse pour retrouver la trace de l’abbé Dallas. Il lui a écrit. « Je lui rappelais tous les faits et lui disais qu’en tant que chrétien, je lui pardonnais. Ce n’était pas qu’une formule, mais ce que je ressentais. Je n’ai jamais eu de réponse... A-t-il seulement reçu ma lettre ? » Serge assure avoir agi de la sorte sans haine. « J’aurais aimé voir cet homme face à face et lire un regret sincère dans son regard. » Le sien a changé depuis le témoignage de Jean. « Désormais, je vois un monstre. Sans connotatio­n religieuse, je le qualifiera­is de diabolique ! »

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(Photo Franz Chavaroche) L’église Sainte-Thérèse, quartier Magnan à Nice.

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