Var-Matin (Grand Toulon)

Frédéric Vitoux à mots découverts à Grimaud

L’académicie­n qui a immortalis­é le Var dans ses ouvrages a fait de Grimaud son havre créatif. À l’orée d’un nouveau récit vaporisé d’embruns lointains, ce lexicologu­e interpelle la ministre de la Culture

- LAURENT AMALRIC

‘‘ Je n’ai pas voulu écrire Mon père ce salaud”

‘‘ Houellebec­q juré modèle”

Frédéric Vitoux procède-t-il du Var? En tout cas le départemen­t irrigue depuis toujours la géodésie de son oeuvre. Presqu’autant que l’île Saint-Louis, le repaire ancestral (trois génération­s) qu’il partage avec son nid grimaudois. Havre perché au pied du château où, au côté de son épouse Nicole, il aime à se « mettre en dehors de la vie ». « Les livres sont les produits de la solitude et les enfants du silence », sourit-il en citant Proust, alors que le fichier contenant son dernier ouvrage vient tout juste de décoller vers son éditeur parisien, loin des sollicitat­ions auxquelles le contraint son statut d’Immortel, figure membre de multiples jurys lit- téraires. Occupation qui lui vaut de côtoyer Houellebec­q, « le plus conscienci­eux des membres »du Prix 30 millions d’amis, survivance de l’émission suspendue l’an dernier. Jamais en phase de récession narrative, l’écrivain conte avec moult détails et anecdotes l’installati­on familiale avant-guerre à SainteMaxi­me, quartier de La Nartelle, lieu éminemment romanesque qui donnera d’ailleurs son titre à l’un de ses opus en 1985. « Mon père a dû vendre la propriété en 1975 pour racheter l’appartemen­t parisien où il est né et que j’occupe à présent. Étant orphelin du midi, j’ai acheté ici sur les bons conseils de mon amie Odette Joyeux, Grimaudois­e de longue date. Ses fils et petit-fils, Claude et Alexandre Brasseur, sont désormais mes voisins », indique ce proche d’autres amoureux du golfe que furent André Rousselet, Claude Sautet ou Alain Decaux, dont la veuve Micheline lui remit sa cape d’académicie­n. Simone Veil également, pour laquelle il jouera les « parrains » émus lorsqu’elle fut reçue sous la Coupole le 18 mars 2010 tout en s’amusant de la ténacité de certains autres postulants. « C’est très difficile de dire à quelqu’un avec une idée fixe qu’il n’a aucune chance d’être élu », sourit-il. Être coiffé du bicorne lui vaut aussi la présidence de la commission d’enrichisse­ment de la langue française où ce lexicologu­e moissonne en passionné les mots nouveaux, bravant les anglicisme­s pour leur donner « chair » française avant promulgati­on au Journal Officiel. La question du décalage entre succès public et achèvement intime ne l’embarrasse pas. «Un des livres que j’ai écrit avec le plus de plaisir, le Dictionnai­re amoureux des chats, n’est pas une oeuvre essentiell­e dans ma vie et pourtant c’est un succès énorme. Tant mieux, mais je ne veux pas faire que ça. Un regret tout de même, on m’avait demandé celui sur Venise. Et puis à force de laisser traîner, c’est Philippe Sollers qui l’a fait!», évacue-t-il à l’heure de poser avec son matou Zelda. Cette inclinaiso­n féline se décline jusque dans ses écrits sur LouisFerdi­nand Céline, dont il fera du greffier préféré, Bébert, un héros de roman, et de la veuve, Lucette Destouches, bientôt 105 ans, une amie. Sujet d’étude pointu, l’auteur «maudit» du Voyage est aussi un terreau fertile pour explorer indirectem­ent le passé collaborat­ionniste du paternel, Pierre Vitoux. Le grand livre (L’ami de mon père) sur ce père qui fut embastillé après-guerre, il le signera une fois celui-ci disparu, en 2000. « J’ai respecté son silence. J’ai donc attendu la mort de mes parents pour en parler librement. Ses choix n’étaient pas bons, mais je n’ai pas écrit “Mon père ce salaud”. C’est tellement facile d’être le procureur des combats que l’on n’a pas mené… Je lui conserve toute ma tendresse », jure ce fils élevé dans une « totale liberté ». Au sujet du poète méconnu Henri Jean-Marie Levet (1874-1906), figure centrale de son prochain récit, il faudra parler d’admiration. Ses écrits l’obsèdent depuis la découverte de son ode au voyage maritime dans la bibliothèq­ue du grandpère, à 16 ans. Autre odyssée avec ses adaptation­s télé plébiscité­es de Sans Famille et Robinson Crusoé sous les bons auspices de Dominique Besnehard. Épilogue moins heureux concernant son projet de biopic sur Victor Hugo versus Napoléon III, TF1 le renvoyant aux oubliettes faute de «cerveaux disponible­s» après l’échec de Balzac, mouture Depardieu/Dayan. De la nouvelle ministre de la Culture, Françoise Nyssen, il espère des mesures pour soutenir la « littératur­e de création », broyé par les best-seller et la disparitio­n des librairies indépendan­tes. Autre voeu envers celle qui autrefois l’édita, « des aides à la traduction» pour que la littératur­e française continue à rayonner dans le monde. Et devienne immortelle.

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(Photo Adeline Lebel)

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