Paré au décollage
Je faisais 1,89 m pour 70 kg vers 15 ans. J’ai joué en minime ou cadet France, mais j’ai arrêté parce j’habitais trop loin du pole d’Orléans ». Un peu par hasard, il troque alors la balle orange pour le disque. « Mon cousin m’a demandé de faire un test pour s’amuser, et il a vu que j’avais des qualités. Six mois après, je me suis qualifié pour mes premiers championnats de France. » De quoi rendre fou ses concurrents, qui, eux, s’entraînent depuis des années. Mais, après s’être tirés les cheveux devant le phénomène, ces derniers n’ont pas tardé à se frotter les mains devant l’inexpérience du garçon : « Je m’en rappellerai toujours … » revit l’intéressé. « Il y avait des qualifications pour accéder en finale. Je lance à une bonne distance, mais je ne connaissais pas les règles de l’athlétisme. Moi, super heureux, je sors par devant… alors que c’est éliminatoire. Du coup je ne passe pas en finale à cause de ça. » L’anecdote a de quoi faire sourire, mais en dit long sur le niveau et la méconnaissance de la discipline en France. Sans grande passion, Lolassonn persévère tout de même dans un sport sans grande concurrence, où il est plutôt doué, mais où il faut s’armer de patience avant d’en maîtriser les rudiments. « J’ai mis un an et demi pour lancer sans faire peur aux gens aux alentours ! (rires) Je battais mes records mais je n’étais pas heureux pour autant. La première année, j’esquivais les entraînements pour aller faire des basket. Je m’éclatais vraiment là-dedans alors que dans l’athlétisme non. Cela a pris du temps. » Quatre ans exactement. Le temps de voyager un peu partout et de se rendre compte qu’il y a aussi des avantages à évoluer dans ce milieu « ouvert à toutes sortes de physiques et à toutes les origines », alors qu’il vient d’un quartier « un peu difficile ». Les performances ne tardent pas. Après un passage à Dijon, puis à l’INSEP à Paris, la Fédération l’envoie à Potsdam. En Allemagne. Le pays du lancer, considéré comme la Mecque du disque. Une fabrique à champions entre Robert Harting, Lars Riedel ou le recordman du monde Jürgen Schult, qui, à l’image de Bubba avec les crevettes dans le film Forrest Gump, connaît tout ce qu’il y a à savoir dans le domaine du lancer de disque. « Il y a tellement de choses à savoir sur le disque , explique Lolassonn. Pour battre le record du monde, il faudrait que la personne ait compris le disque comme Jurgen l’a compris. Là-bas, ils ont les structures et des machines que nous n’avons pas. Aujourd’hui, je suis presque sûr qu’un minime ou un cadet allemand est capable de dire ce que je fais de bien et ce que je fais de mal quand il me voit lancer ! Chez eux c’est ancré. » À en croire Lolassonn, il y aurait même un peu du Barça dans le lancer de disque allemand. Dans la philosophie en tout cas. Comme en Catalogne, où les jeunes de la Masia - le centre de formation - pratiquent le même football qu’Iniesta et Messi au Camp Nou. « Ils ont cette cohésion-là, ils travaillent tous de la même façon. Le senior qui est à un haut niveau va faire les mêmes échauffements que le gamin. Chez nous, les gros gabarits, souvent, on les amène au rugby... ». Son entraîneur à Boulouris, Jacques Pelgas, confirme. « L’Allemagne est un pays où les lancers sont mis en valeur.
Jacques Pelgas, son entraîneur.
En France, non. J’ai vu beaucoup d’athlètes qui sont partis au rugby. Notre fédération ne présente pas un plan de carrière comparable. Si un président de club de rugby se présente vers 16-19 ans, on fait vite son choix. Au rugby, ils sont bien payés et ils ont un plan d’avenir tout à fait différent des lanceurs français. Aujourd’hui, Lolassonn ne doit pas toucher beaucoup plus que le Smic… ». Difficile dans ces conditions, de rivaliser. Mais le lanceur prend la situation avec philosophie : « C’est le lancer. J’ai fait mon record avec des chaussures... Si je vous les montre vous allez rire. Je les ai tellement frottés qu’il y a des trous de partout ! » En réalisant la huitième performance mondiale de l’année avec un jet à plus de 65 m, Lolassonn a désormais pris son envol. Tout en sachant aussi, que le plus dur reste à faire pour tutoyer les sommets de l’athlétisme français. Pour cela, il n’y a pas cinquante solutions. « Il faut faire des médailles ! Le disque masculin français n’aura pas de nom dans l’athlétisme français sans médaille. Peu importent les performances que tu vas faire, même si tu gagnes une Diamond League, ça ne parle pas pour les gens. Il faut faire des médailles et derrière on sait qui tu es. » Sous peine, sinon, de tomber très vite dans l’anonymat.
L’Allemagne est un pays où les lancers sont mis en valeur. En France, non.” J’ai vu beaucoup d’athlètes qui sont partis au rugby”