Le parcours d’obstacles civique d’une malvoyante
Lucille Faivre, jeune Seynoise âgée de 22 ans, que son handicap oblige à renoncer à la confidentialité du scrutin, a exercé hier son droit de vote, accompagnée par sa mère dans l’isoloir
Ne jamais rien lâcher. À l’heure d’une abstention record et pour exercer son devoir civique, la première difficulté à laquelle Lucille Faivre, jeune malvoyante seynoise âgée de 22 ans, est confrontée, est celle du transport jusqu’au bureau de vote auquel elle est rattachée. « Je n’ai pas d’autres choix que de me faire accompagner ou de prendre un taxi», glisse hier matin la jeune femme dans la cour de l’école maternelle Antoine-deSaint-Exupéry, en repliant sa canne blanche. Son bureau de vote, le n° 130, situé au sud de la ville, est éloigné de plusieurs kilomètres du domicile de la jeune fille… «Je ne comprends pas pourquoi, se demande Valérie, sa mère et accompagnatrice. Nous habitons près du cimetière, il y a pourtant des écoles plus près ».
« Pourquoi n’y a-t-il pas de bulletins en braille ? »
C’est le deuxième scrutin, après la dernière élection présidentielle, auquel Lucille participe. Il lui faut maintenant passer un second obstacle de principe : « Demander l’autorisation au président du bureau pour que l’on m’accompagne dans l’isoloir ». Lucille est la seconde personne malvoyante à qui Marcel Koechly accorde cette dérogation ce matinlà. Valérie Faivre est sur tous les fronts depuis plusieurs jours. Elle a ainsi dû lire à sa fille les professions de foi des candidats au siège du député de la 7e circonscription. Bon, pas les dix-huit en lice, « mais bien cinq ou six quand même ». Et la première bonne surprise arrive au moment de la collecte des bulletins de vote.« Vous ne pouvez en prendre que deux si vous voulez », lance Stéphanie Guevel, présidente adjointe du bureau. «Je ne comprends pas pourquoi on ne met pas de bulletins de vote en braille à disposition des électeurs malvoyants, comme cela se fait en Afrique du Sud, ou un système de vote électronique adapté ? s’interroge Lucille. Nous sommes 207 000 malvoyants lourds en France ! » Avant de rentrer dans l’isoloir, la jeune fille, qui a renoncé à la confidentialité du scrutin, ne sait pas encore pour qui elle va voter… Elle va «choisir parmi six candidats » et dire à sa mère quel bulletin glisser dans l’enveloppe. Si elle ne sait pas à quoi ils ressemblent physiquement, elle connaît les programmes, « dans lesquels la question du handicap est trop souvent absente. A l’élection présidentielle, seul Emmanuel Macron détaillait des mesures. J’en attends beaucoup ». Valérie Faivre qui a sélectionné une dizaine de bulletins – en double – tire le rideau blanc, leur garantissant l’anonymat à toutes les deux. Mère et fille s’isolent pendant de longues minutes…
« Juger la sincérité des candidats à leur voix »
«Lucile Faivre… N°377… A voté ! » Voilà, c’est fait. Après elle, sa mère dépose à son tour son bulletin dans l’urne. Lucille ne sait pas encore si elle viendra pour le second tour. Heureuse coïncidence, elle croise le maire Marc Vuillemot et son adjointe Denise Reverdito, candidate (EELV-PS) dans la 7e circonscription. Une discussion s’engage alors avec les deux élus, à l’écoute, à qui Lucille Faivre fait part de la difficulté qu’elle rencontre pour arriver à faire son service civique dans une école seynoise. La jeune femme, qui intervient bénévolement dans une classe de CE2 d’une école de Toulon où elle sensibilise les écoliers à la faune et à la flore et anime des ateliers de loisirs créatifs, est passionnée par l’ornithologie. Elle est capable d’identifier 80 oiseaux en les écoutant chanter… Une capacité d’écoute hors du commun aiguisé epar son infirmité, qui lui permet aussi « d’identifier le degré de sincérité des candidats. Juste en les écoutant parler ». Ces voix-là, elle maîtrise...