Cellule de Cannes-Torcy : ne pas jouer « sur la peur »
Depuis hier, les avocats des membres présumés de la filière djihadiste tentent de démonter le lourd réquisitoire de l’avocat général de la cour d’assises spéciale de Paris. Le verdict est attendu jeudi soir
La défense a pris la parole, hier, aux assises de Paris, pour trois jours de plaidoiries, au procès de vingt membres présumés de la filière djihadiste de Cannes-Torcy avant un verdict attendu jeudi soir. « Ici et maintenant, c’est la justice, ce n’est pas la croisade » , a lancé Me Michel Konitz, le premier à plaider, après un lourd réquisitoire qui a selon lui « joué sur la peur » alors que la France a été, hier, une nouvelle fois la cible d’une attaque djihadiste sur les Champs-Elysées. Depuis deux mois, vingt hommes – dont trois en fuite – sont jugés devant la cour d’assises spéciale chargée des crimes terroristes pour leur appartenance à une filière dangereuse qui, selon l’accusation, «a porté le djihad sur le sol français » et est « prête à recommencer ». Le ministère public a requis des peines de deux ans à la perpétuité contre ces hommes pour un attentat à la grenade contre une épicerie casher de Sarcelles (Val-d’Oise), qui n’a pas fait de mort, ainsi que des projets d’attaques dans le sud de la France et des départs en Syrie. « Même si on doit combattre de toutes nos forces les terroristes, il ne faut pas qu’ils fassent reculer notre Etat de droit », a plaidé Me Konitz, s’adressant à la cour composée de magistrats professionnels. « On a commencé ce procès par une commémoration, il ne faut pas terminer par une abjuration », a-t-il ajouté, en référence à la minute de silence imposée au deuxième jour du procès à la mémoire d’un policier tué sur les Champs-Élysées et dénoncée comme une instrumentalisation par la défense.
« Réalité sociologique »
« C’est insupportable de jouer sur la peur. Et devant des magistrats comme vous, c’est totalement inutile », a-t-il espéré, ajoutant avec ironie : «Ilya ce truc, vous savez... à force de ne pas s’en servir, on l’oublie... Ah ! le doute ! Ce doute qui doit profiter à l’accusé. » Sept ans de prison ont été requis contre son client, Michaël Amselem, qui comparaît libre. Avocat d’un autre accusé comparaissant libre, Me David Marais a souligné que « 80 à 90% des djihadistes viennent des cités » : « Oublier cette réalité sociologique, c’est considérer ces jeunes comme s’ils étaient hors sol, l’oublier c’est ne pas assumer notre responsabilité, la responsabilité de la société française. » Plusieurs avocats ont dénoncé les « approximations » ou les « mensonges » de l’accusation, qui a jeté tous les accusés ensemble dans le grand sac de la culpabilité, gommant les différences, « biaisant » les faits. Me Konitz a rappelé que son client avait reconnu avoir acheté du salpêtre à la demande des chefs du groupe et livré de nombreux détails : « Il a fourni lui-même les éléments qui lui valent sa mise en cause, ses déclarations ont été déterminantes » pour l’enquête. L’avocat d’Elvin Bokamba-Yangouma, Me Joseph Breham, s’est attaché à démontrer la faiblesse des charges pesant sur son client, accusé d’appartenir à une filière terroriste alors que « les seules personnes avec lesquelles il a échangé sont ses potes d’enfance, de Torcy [Seine-et-Marne] ». Les avocats de Malick N’Gatte, contre qui 14 ans ont été requis pour un braquage auquel il conteste avoir pris part, ont relevé la faiblesse voire « l’absence » de preuves matérielles contre leur client. « Quand l’époque paraît si noire il ne faut pas renoncer au trouble de penser », a plaidé Me Thomas Ricard, citant Tocqueville.