Les cinq enseignements du procès Cannes-Torcy
Deux mois de débats hors normes, aux assises spéciales de Paris, ont conduit à 18 condamnations à des peines d’un an à 28 ans de prison. La cour a motivé son verdict avec force arguments
La porte de la somptueuse salle s’est refermée une dernière fois, hier, au palais de justice de Paris. Avec l’audience civile, la cour d’assises spéciale a clôturé le procès de la cellule terroriste CannesTorcy. Plus de deux mois de procès hors normes, passionnant, souvent instructif et inquiétant. Jeudi, à 23 heures passées, les jurés professionnels ont rendu un verdict qui aura mis douze heures à se dessiner. Et qui fera date. En condamnant dix-huit accusés à des peines allant d’un an de prison à 28 ans de réclusion criminelle, la cour a écrit la première page judiciaire des grandes affaires djihadistes des années 2010. Après Merah, mais avant Charlie, l’Hyper Casher et le 13-Novembre, cette équipe-là n’a pas tué. Mais les motivations de la cour ne laissent aucun doute sur ses funestes desseins.
. L’idéologie violente
Dans sa feuille de motivation de 27 pages, la cour présidée par Philippe Roux décrit «une entente de personnes qui ont adhéré à une idéologie religieuse radicale et violente, autour d’une thèse commune favorable au djihad armé» .Cegroupea conçu des attaques en France contre « des cibles différentes (...), mais dont le point commun est d’être considérés comme des ennemis de l’islam ». La cour constate une « fascination pour le djihad » et une « admiration pour les figures du terrorisme international ». Elle se fonde sur l’exploitation des téléphones et ordinateurs, les déclarations des proches, l’abondante littérature djihadiste saisie, leurs armes et, surtout, leurs actes. « Le but poursuivi n’est autre que de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur (...) en commettant des actions violentes pour s’en prendre à l’intégrité de personne humaine ».
. L’attaque à Sarcelles
Le 19 septembre 2012, deux individus lançaient une grenade dans une épicerie casher à Sarcelles, avec l’intention « de tuer ou de blesser un maximum de personnes ». L’ADN retrouvé sur la cuiller de la grenade était celle de Jérémie Louis-Sidney, leader fanatique abattu par la police. Mais c’est son « bras droit » ,Jérémy Bailly, qui a été identifié comme le lanceur de bombe. Luimême a accusé Kevin Phan, le chauffeur des terroristes. Sans surprise, Bailly a néanmoins écopé de la plus lourde peine : 28 ans de réclusion criminelle. Mais il échappe à la perpétuité, que réclamait l’avocat général Philippe Courroye.
. Les cibles militaires dans le Var
Tout est parti d’un renseignement anonyme. Il aura ensuite fallu une solide enquête policière, avec la participation active de la PJ de Nice, pour contrer ce projet d’attaque. Lors de l’été cannois de la bande, quelques mois après les tueries de Toulouse et Montauban, certains membres envisageaient «d’attaquer des soldats français sur le territoire national, en représailles à une éventuelle intervention de la France au Mali ». Des repérages seront effectués « aux abords des sites militaires de Fréjus et Draguignan ». Un pistolet-mitrailleur Scorpio sera acheté en 2013 à Marseille, puis stocké à Mougins. Le projet capotera avec une série d’interpellations de 2013.
. Les séjours en Syrie
Parmi les douze accusés cannois, trois ont gagné la Syrie « pour s’engager dans la lutte contre le régime ». Pour la cour, « partir en Syrie et y intégrer un groupe djihadiste pour combattre traduit l’adhésion aux buts poursuivis par l’organisation terroriste et la volonté de participer (...) à son projet djihadiste. » Or celui-ci «passe automatiquement par l’emploi d’exactions et de procédés de nature terroriste visant directement les personnes humaines. » Ibrahim Boudina a beau nier avoir intégré les rangs de l’EI, Jamel Bouteraa a beau invoquer des motifs humanitaires, tous deux écopent de lourdes peines : 20 et 18 ans de réclusion. Soit les réquisitions de Philippe Courroye, sans la période de sûreté. Rached Rihai, lui, n’est pas rentré des zones de guerre.
. Les projets avortés
Décrivant un groupe « sous l’influence » de Jérémie Louis-Sidney, puis Jérémy Bailly, la cour constate que la cellule Cannes-Torcy « a eu la volonté de commettre des actions violentes s’inspirant du modèle de Mohamed Merah ». La bande a confectionné des engins explosifs «similaires à ceux utilisés par le GIA lors de la campagne de terreur de 1995 », qu’elle les a «testés dans la région cannoise et à Torcy en 2012 ». Parmi les cibles : la communauté juive, des McDonald’s, mais aussi des buralistes vendant… Charlie Hebdo. Autant de signes annonciateurs des tueries qui endeuilleront la France par la suite.