Une suspicion d’abus sexuel enflamme l’aide à l’enfance
Des fonctionnaires de la délégation générale aux solidarités du Var ont dénoncé leur manque de moyens. Le détonateur : un cas d’abus sexuel présumé dans le centre départemental de l’enfance
Sur le parvis du conseil départemental, dans l’avenue des Lices, ils sont plusieurs dizaines, hier, à être en grève, emmenés par la CGT et la CFDT. Il est 10 heures et la liste des doléances et des dénonciations des travailleurs sociaux, animateurs et autres assistantes sociales de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et de la Protection maternelle infantile (PMI) est longue. Mais c’est une histoire bien particulière qui a mis le feu aux poudres. Si l’on en croit le bureau du procureur de la République, le Département a dénoncé il y a trois semaines, au parquet de Toulon, un cas d’attouchement sexuel sur une fillette de 12 ans par un employé. La scène se serait déroulée au Centre départemental pour l’enfance (CDE) du Pradet. Le parquet a ordonné une enquête préliminaire confiée à la brigade des mineurs.
Pavé dans la mare
« Clairement, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ! Et tant pis si ça jette un pavé dans la mare », explose Sophie (1), une travailleuse sociale de l’ASE de Toulon. « Il y a même une collègue qui est partie en burn-out avec cette histoire. On envisage de porter plainte contre le Département pour manquement et de faire réaliser un audit des services par un cabinet indépendant. »Àen croire Emma (1), une employée de l’aide sociale toulonnaise, «des cas de maltraitances, notamment sexuelle, il y en a dans toutes les Maisons d’enfants à caractère social (MECS). Ça peut être entre mineurs, ou bien plus rare, entre le personnel encadrant et des mineurs… » Qu’il s’agisse d’enfants dormant parfois sur des matelas à même le sol ou de petits ballotés de centres en foyers, cette maltraitance prendrait plusieurs formes. « Au CDE du Pradet, il y a des enfants qui ont été déplacés deux ou trois fois en l’espace de deux mois », continue Sophie. « Et à la Pouponnière, une partie du CDE qui s’occupe des bébés, il y a un problème de places. Ce qui fait qu’on met ces bébés dans des familles d’accueil avant de les placer à la Pouponnière… C’est de la maltraitance institutionnelle. » D’autres grévistes évoquent des décisions de placement ordonnées par la justice, mais inapplicables faute de places… Aux dires des fonctionnaires massés devant les portes du Conseil départemental, une telle « maltraitance institutionnelle » a une origine claire : l’absence d’adéquation entre l’explosion ou la complexification des cas traités et les moyens consacrés à l’enfance par les pouvoirs publics. « À Toulon, on a eu 500 mesures de placements en 2016, ce n’est pas vraiment plus que d’habitude, mais avec la baisse des subventions pour les associations ou aux pédopsychologues, le travail de terrain est beaucoup plus difficile », glisse Bernard (1), de l’ASE toulonnaise. Des fonctionnaires venant d’autres coins du département dressent le même tableau. « À Brignoles, entre 2013 et 2016, le nombre d’interventions est passé de 130 à 320, mais on est toujours 16 ! », affirme Jean-Claude (1), de l’ASE brignolaise. À La Seyne, Brigitte, seize ans de métier, souligne des « problèmes de plus en plus durs » du fait d’une société se précarisant. Au niveau de l’organisation du travail, burn-out et turnover seraient le lot commun des équipes de l’ASE. «À Toulon, on est 30, mais 75 % de l’équipe ont été renouvelés en deux ans… Il y a un ras-le-bol général… », gémit Bernard.
Pas d’entrevue
Ces plaintes et revendications de quelque 200 agents grévistes – à en croire la CGT – devaient être portées aux responsables du Département à 15 h. Mais, alors que les salariés ont voulu envoyer une délégation de 35 personnes, la direction ne comptait en recevoir qu’une douzaine, afin de « permettre d’aborder sereinement les revendications des personnels ». Faute d’accord, aucune entrevue n’a eu lieu. Après un long bras de fer, elle doit finalement avoir lieu ce matin, à 9 h 30, avec une délégation du personnel de… 35 personnes. Contactés afin de répondre aux accusations de mauvaise gestion des salariés et à l’affaire de la fillette abusée sexuellement, les services du Département se sont bornés à souligner la nontenue de l’entrevue avec les grévistes et la non-communication « sur des affaires en cours auprès de la justice ». 1. Les prénoms des fonctionnaires grévistes ont été modifiés.