AOC Côtes de Provence : l’histoire d’une conquête
L’Appellation Côtes de Provence fête ses 40 ans. Au vu du succès mondial que connaît le rosé, on a du mal à imaginer les difficultés du début. Les pionniers nous racontent
La viticulture varoise revient de loin ! Dans les années 1970, les paysages ruraux qu’on nous envie aujourd’hui, genre de bocage provençal où les parcelles en restanques le disputent aux bosquets, ont bien failli disparaître. « À l’époque, on perdait 1 000 hectares de vignes par an », se souvient Claude Bonnet, ancien président du Syndicat des vignerons (1980-1998) et de la Chambre d’agriculture du Var (1991-2007). Ne produisant dans le meilleur des cas que des vins délimités de qualité supérieure (VDQS), sans aucune référence aux cépages ni au terroir, la viticulture varoise courrait irrémédiablement à sa perte. « Les primes d’arrachage, plutôt incitatives, étaient la seule perspective qui s’offrait aux vignerons. Beaucoup de ceux dont les terres ne rapportaient déjà plus rien et qui n’avaient pas d’enfants pour reprendre l’exploitation ont choisi cette option », confie Claude Bonnet.
Une reconversion de type sidérurgique
Le salut est venu de l’obtention de l’appellation d’origine contrôlée en 1977. Une initiative de longue haleine, menée notamment par Fernand Brun, alors président du Syndicat des Côtes de Provence, mais soutenue par l’ensemble de la filière viticole varoise. « Fernand Brun avait tout compris et il n’a eu de cesse que d’obtenir l’AOC pour les Côtes de Provence », affirme Louis Fabre, qui lui succéda de 1992 à 1995. « Avoir l’AOC, c’était jouer dans la cour des grands, comme à Bordeaux ou en Bourgogne, précise Claude Bonnet. Mais il ne faut pas croire que tout était gagné pour autant ». Bien au contraire : tout était à construire pour se conformer au cahier des charges de la nouvelle AOC. « En un sens, on a connu une reconversion de type sidérurgique », affirme Claude Bonnet, le plus sérieusement du monde. Et d’expliquer : « Il a fallu convaincre les vignerons de planter des cépages de meilleure qualité comme la syrah et le grenache, à la place du carignan ou de l’ugni blanc. Les caves ont dû rénover leurs équipements en achetant des cuves inox et des groupes de froid pour la vinification à basse température. Des efforts étaient également nécessaires en terme de commercialisation du vin, notamment par l’aménagement de caveaux de vente ».
Rude adversité
Tout aussi important: « Le syndicat des Côtes de Provence a fortement insisté sur la nécessité d’embaucher des oenologues », ajoute Louis Fabre. «Un changement considérable car, jusqu’à présent, le vin était fait par des gendarmes en retraite, des gens honnêtes pour du vin loyal et marchand », acquiesce Claude Bonnet, dans un sourire. Reste le choix du rosé (largement minoritaire à l’époque), plutôt que du rouge et du blanc : « C’était le seul marché libre. Avec le rouge, on serait entré en concurrence frontale avec le Bordeaux ou les Côtes-du-Rhône. L’Alsace était déjà positionnée sur le marché du blanc. Et puis on pouvait s’appuyer sur l’histoire, attestant de la production de vin rosé en Provence dès l’Antiquité », confie Claude Bonnet. Mise à part une fronde, vite résolue, de certaines caves particulières, toute la filière viticole varoise a rapidement tiré dans le même sens pour mener l’AOC Côtes de Provence au succès. Heureusement, car l’adversité a été rude. « Nos pires ennemis étaient nos collègues vignerons des autres appellations. Ils disaient : le rosé, ce n’est pas un vin. Et les vignerons qui en produisent font honte à la profession », se souvient Claude Bonnet, 40 ans après. Obstinés, convaincus d’être sur le bon chemin malgré d’inévitables tâtonnements, les vignerons varois ne lâcheront rien. Quelques événements – dont la sortie de la cuvée Pétale de Rose, premier rosé très clair produit par Régine Sumeire du Château La Tour de l’Évêque, ou encore la création du Centre du rosé à Vidauban – viendront définitivement asseoir l’AOC Côtes de Provence qui n’en finit plus de conquérir le monde.