Var-Matin (Grand Toulon)

Sur le pont !

Trafics de drogue ou d’armes, menaces asymétriqu­es… Le quotidien des marins d’État français est varié. Pour faire face à toutes ces situations, ils s’entraînent avec le concours du VN Rebel

- P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.com

Au large de Toulon, les marins français s’entrainent au quotidien à faire face à toutes les formes de menaces qui peuvent surgir en mer.

Pour un peu les aventures télévisuel­les de Jo Gaillard(1) ressembler­aient à une croisière paisible. En embarquant à bord du VN Rebel, supply des années 1980 transformé en plastron pour les besoins

(2) de la Marine nationale, les marins de commerce ne se doutaient sans doute pas de quoi serait fait leur quotidien… En cette fin juin, le Rebel et ses dix membres d’équipage ont rendez-vous avec le patrouille­ur de haute mer Commandant Bouan, à une quarantain­e de milles dans le sud de Toulon. Selon le scénario du jour, après interrogat­ions à la radio, puis tirs de sommation au canon de 100 mm, le Cdt. Bouan doit envoyer une équipe de visite à bord du Rebel, dont le comporteme­nt est jugé suspect. « Le thème de l’exercice est d’entraîner l’équipe de visite à évoluer en toute sécurité à bord d’un navire marchand », explique le pacha Ludovic Gin, ancien marin militaire, passé du côté obscur de la force…

Un scénario ciselé

À bord du Rebel, tout est prêt pour l’exercice. Des armes factices, grenades et autres fusils mitrailleu­rs, ainsi que de la « drogue » ont été dissimulée­s. Pour bien délimiter le terrain de jeu, des affichette­s « play » et « no play » ont été collées sur les portes du navire. « On est obligé, sinon visiter de fond en comble un tel bateau de 75 m prendrait des jours », justifie le commandant Gin. Les membres d’équipage choisis pour participer au jeu de rôle changent même d’identité. Boucles d’oreille, bras abondammen­t tatoués, le bosco Florian Lafond – une vraie gueule de pirate – a désormais un faux passeport… libanais au nom de Hamza Ramloush. D’autres de ses collègues sont devenus Ukrainiens. À 13 h 43, les choses sérieuses commencent. Sur le canal 72 de la VHF, Le Cdt. Bouan démarre son interrogat­oire. En anglais. Dernière escale, prochaine destinatio­n, nature de la cargaison, propriétai­re du navire… tout y passe. Pas convaincu par les réponses du lieutenant, alias le commandant Arzaoui – un nom d’emprunt – le patrouille­ur de haute mer demande au Rebel de ralentir en vue d’envoyer une équipe de visite. « Je suis dans les eaux internatio­nales. Je suis libre de continuer au même cap et à la même vitesse », rétorque le lieutenant dans un bel accent oriental.

Tirs au canon à obus réels

La tension monte rapidement. « Selon la convention de Montego Bay, vous devez coopérer. Sinon, je n’hésiterais pas à tirer pour vous y contraindr­e », avertit le bâtiment militaire. « Je suis sous pavillon italien, un pays ami. Si vous tirez sur nous, mon ami, vous aurez de gros problèmes », rétorque le lieutenant, qui joue visiblemen­t pour l’Oscar. Mettant sa menace à exécution, le Cdt. Bouan se rapproche sur tribord. Sa tourelle de 100 mm s’agite. « Je suis prêt à tirer… Tir dans 5 secondes », entend-on à la radio. « Pour éviter tout accident, la tourelle doit être à hauteur de notre étrave avant de tirer », rassure le commandant Gin. Tout à coup, une gerbe d’eau éclate sur bâbord, suivie d’une détonation. Le Cdt. Bouan est enveloppé d’un nuage de fumée. Les coups de semonce ne tardent pas à faire effet. Le Rebel se montre aussitôt plus coopératif et accepte la visite d’une équipe. En treillis camouflage, casqués, armés jusqu’aux dents, une douzaine d’hommes montent à bord du Rebel. Aussitôt, une partie de l’équipage est placée sous bonne garde, plage arrière. Sous un soleil de plomb. Mais il en faut plus pour intimider le lieutenant, alias cdt. Arzaoui. Tour à tour accort, puis récalcitra­nt, ce dernier n’a pas son pareil pour faire tourner en bourrique les militaires. Reconnaiss­able à son brassard jaune, l’entraîneur observe, prend des notes dans son petit carnet, secoue un peu ses troupes, au besoin : « Il faut trouver une solution. Appelle le chef, il est là pour ça ». Au bout de près de trois heures de fouilles, sept armes et 3 kg de drogue ont été découverte­s. Le Cdt. Bouan décide de transférer le pacha du Rebel à son bord. Ce dernier tente un dernier coup d’éclat : « La loi m’interdit de quitter mon navire. On n’est pas sur le Costa Concordia ». En vain. Il part menottes aux poignets, solidement encadré par des militaires. L’exercice prend fin. L’heure du débriefing a sonné. Confidenti­el. Le lendemain, une évacuation de ressortiss­ants, avec possibles menaces asymétriqu­es(3), est programmée. Toujours avec le patrouille­ur de haute mer Cdt. Bouan en phase de remise à niveau opérationn­el. Décidément, être marin à bord du Rebel n’est pas de tout repos. 1. Série télévisée diffusée au milieu des années 1970 qui raconte les aventures de Joël Gaillard, le capitaine du navire marchand La Marie-Aude. 2. Dans le langage militaire, le plastron est un détachemen­t figurant l’ennemi pour les besoins d’un exercice. 3. Une guerre asymétriqu­e est un conflit qui oppose un Etat à un groupe armé (Milice, organisati­on terroriste, pirates, etc...)

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(Photos P. Blanchard) Sitôt montée à bord, l’équipe de visite parque une partie de l’équipage sur la plage arrière. En plein cagnard. Engagés pour tester les réactions des militaires, les marins du Rebel se montrent parfois turbulents. Ce jour-là, un matelot terminera...

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