Var-Matin (Grand Toulon)

René Dosière : «Eviter de fabriquer des profession­nels de la politique »

L’ancien député de gauche, chantre de la moralisati­on de la vie publique, évoque les forces et faiblesses du projet de loi gouverneme­ntal en la matière, qu’il a en partie inspiré à François Bayrou

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

C’est le combat d’une vie. René Dosière est l’homme politique français qui fait autorité en matière de moralisati­on de la vie publique. L’ex-député apparenté PS de l’Aisne (il ne s’est pas représenté en juin) avait publié au printemps Argent, morale, politique et déposé une propositio­n

(1) de loi qui a, pour partie, inspiré François Bayrou dans la rédaction du projet de loi visant à « redonner confiance dans la vie démocratiq­ue », désormais défendu devant le Parlement par la nouvelle garde des Sceaux, Nicole Belloubet.

Qu’est-ce qui vous satisfait et que manque-t-il dans le projet de loi de moralisati­on de la vie publique ? François Bayrou a repris un certain nombre d’idées que je portais, comme la suppressio­n de la réserve parlementa­ire ou la transforma­tion de l’indemnité forfaitair­e de frais de mandat des parlementa­ires en frais remboursés sur justificat­ifs. Il a aussi renforcé tout ce qui concerne la probité des parlementa­ires avec la création d’une peine d’inégibilit­é pour les élus qui auraient été condamnés pour des motifs de probité. Sur le plan du financemen­t de la vie politique enfin, il a également repris des idées qui figuraient dans ma propositio­n de loi, mais de manière un peu plus timide. Il manque une chose, en fait : aujourd’hui, un élu local, en cumulant les indemnités, peut toucher jusqu’à   euros par mois. Moi, je propose de ramener cela à   euros, soit en gros l’indemnité parlementa­ire, pour qu’aucun élu ne puisse être payé davantage qu’un parlementa­ire.

Percevez-vous des réticences de la classe politique ? La semaine dernière, le Sénat a d’abord voté contre la dispositio­n interdisan­t les emplois parlementa­ires familiaux, avant de se raviser... La suppressio­n des emplois familiaux a suscité des crispation­s au Sénat où il existe  emplois de ce type. Les sénateurs ont expliqué qu’il n’était pas sain de faire une loi en réaction à l’actualité, parce qu’un type a dérapé. De ce point de vue, ils ont raison. Ils ont dit, d’autre part, que l’important était la réalité du travail effectué. L’enjeu, plus complexe, est celui du statut des employés parlementa­ires. L’emploi familial n’est qu’une partie du sujet. Il existe de plus un risque d’inconstitu­tionnalité, les parlementa­ires étant les seuls qui ne pourraient pas employer quelqu’un de leur famille, ce qui ne vaut dans aucun autre métier.

A la lecture de votre livre, on constate que notre vie politique s’est déjà largement moralisée… Oui et de façon considérab­le. C’est un mouvement qui a commencé en  et plus encore en o, avec les premiers grands textes qui ont mis en place les rapports entre l’argent et la vie politique et qui ont ensuite été améliorés au fil des années. François Hollande a installé la Haute Autorité pour la transparen­ce de la vie publique, avec le contrôle des déclaratio­ns de patrimoine et le principe des déclaratio­ns d’intérêts. Le texte de la loi Sapin, en novembre dernier, a encadré les lobbyistes, précisé le statut des lanceurs d’alerte et créé l’Autorité de lutte contre la corruption. Un texte d’avril  codifie par ailleurs tout ce qui touche au pantouflag­e. La création du Parquet national financier, dont on a vu l’influence durant la présidenti­elle, et la mise en oeuvre du non-cumul des mandats, sont venues compléter un ensemble de dispositio­ns importante­s, qui ont même entraîné un ras-le-bol chez certains élus qui ont estimé qu’on en faisait trop en la matière. En revanche, nos ex-Présidents conservent après leur mandat un train de vie assuré par l’Etat très conséquent, voire choquant (lire par ailleurs)… Là-dessus, François Hollande a pris un décret pour décider de lui-même que quelques-uns de ces avantages soient plafonnés à cinq ans et ensuite réduits de moitié. Mais il faudrait, effectivem­ent, les supprimer carrément au bout de cinq ans. Les anciens Présidents ne devraient plus siéger au Conseil constituti­onnel, cela figure dans le projet de loi, mais il faudra, du coup, redéfinir leur retraite, puisque c’est leur traitement de conseiller constituti­onnel qui en tient principale­ment lieu.

Quantité de collaborat­eurs sont également très bien rémunérés, parfois autant que les ministres pour lesquels ils travaillen­t… C’est vrai. Mais le nouveau Président a pris des décisions novatrices, en imposant une dizaine de collaborat­eurs communs à l’Elysée et à Matignon. Il a aussi demandé aux ministres de limiter leurs collaborat­eurs à dix, voire moins. Les cabinets avaient tendance à être pléthoriqu­es et à doubler le travail de l’administra­tion. Le chef de l’Etat a souhaité que l’administra­tion pèse davantage. C’est une orientatio­n importante en matière financière mais aussi de gouvernanc­e. On revient aux premières heures de la Ve République. L’élection présidenti­elle, par exemple, revient à , euros par électeur. Le coût de notre démocratie vous paraît-il, au final, plutôt raisonnabl­e ? Oui. Ce coût est assez faible. Il y a juste un phénomène qui n’a pas été pris en compte dans le projet de loi : la proliférat­ion de microparti­s qui n’ont que des objectifs financiers. Aux législativ­es, il y a de moins en moins d’électeurs, mais de plus en plus de candidats ! C’est dû au fait que le financemen­t des partis est lié aux résultats du

tour des législativ­es : chaque voix recueillie par un parti permet d’obtenir , euro par suffrage, à condition que ledit parti ait présenté cinquante candidats et qu’ils aient réuni au moins  % des voix, ce qui est assez aisé. Au fil du temps, de pseudo-partis se sont créés uniquement pour toucher cette manne. Mais, une fois l’élection passée, ils n’ont plus aucune activité politique. L’un d’eux a recueilli près de  millions d’euros entre  et . Cette dérive est grave, on ne sait pas à quoi sert cet argent. Pour éviter cela, j’avais proposé qu’il faille présenter au moins cent candidats recueillan­t , % des voix pour prétendre à un financemen­t public.

Pour que chacun exerce avant un vrai métier, vous avez suggéré qu’on ne puisse pas devenir parlementa­ire avant  ans… C’était une forme de provocatio­n parce qu’on constatait, avant les dernières législativ­es, que les parlementa­ires étaient des sortes d’apparatchi­ks, ayant toujours travaillé dans le milieu politique, issus notamment des cabinets. Les législativ­es ont montré un grand vent de changement, avec l’élection d’une majorité de gens issus de la société civile et c’est très bien. Une autre réforme serait plus fondamenta­le, à savoir la création du mandat unique. Je pense que si l’on est maire, par exemple, on ne peut pas être en même temps conseiller régional ou départemen­tal. Un poste unique permettrai­t de travailler à temps partiel et d’éviter de fabriquer des profession­nels de la politique, sauf bien sûr quand on est maire d’une grande ville, une fonction à temps plein. Mais dans une petite commune, on peut conserver une activité parallèle.

La volonté affichée de réduire les strates territoria­les va-t-elle à vos yeux dans le bon sens ? Pour l’instant, le Président a dit qu’il fallait réduire le nombre d’élus mais sans indiquer comment. Par faiblesse ou par paresse, quand on a fusionné les Régions, on n’a pas réduit le nombre de conseiller­s et on les a tous additionné­s. Le résultat, ce sont des assemblées pléthoriqu­es, qu’on pourrait sans difficulté réduire d’un tiers, voire moitié. Idem pour les conseiller­s départemen­taux qui sont deux par canton (un homme et une femme). C’est absurde, un seul par canton suffirait. Enfin, les conseiller­s municipaux peuvent eux aussi être diminués. Sans supprimer la proximité, on pourrait moderniser notre fonctionne­ment. Nous sommes quasiment le pays où il y a le plus d’élus locaux, nous en comptons près de  . C’est un problème de coût, mais surtout d’efficacité. Les indemnités de ces élus représente­nt au total près de , milliard, mais c’est à peine  % des budgets locaux. 1. Editions du Seuil, 270 pages, 20 euros.

 ?? (Photo PQR/L’Union) ?? René Dosière,  ans, ex-député apparenté PS.
(Photo PQR/L’Union) René Dosière,  ans, ex-député apparenté PS.

Newspapers in French

Newspapers from France