Passeurs de migrants : condamnations à la chaîne
«Your country is a dictatory! You understand »... « One year ? But one year for what?»(1) Hussein est en rogne. David Hill, le président du tribunal correctionnel de Nice garde son calme. Enfin, essaie. Au début de l’audience, le prévenu avait déjà fait grimacer les magistrats en faisant part de sa désapprobation de voir des femmes dans le tribunal, expulsant au passage un délicat «Fuck ». David Hill s’enfonce dans son siège. Souffle. Il est tard. Ce sont les derniers jugements rendus, hier. «S’il n’est pas content, il peut faire appel. Il a 10 jours.»
« C’est moi que j’ai voulu aider »
En attendant, retour à la case prison. La police remet les menottes à Hussein qui vient de prendre un an de prison ferme. Une peine en deçà des réquisitions de Julie Rouillard, la très posée procureur de la République, qui avait demandé 18 mois, pour «aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger en France». Le 6 août, cet Irakien est contrôlé à 1 h 20 au niveau de la Turbie. Pas de bol, des CRS rentrent du travail. Ils repèrent son monospace feux éteints, arrêté sur l’autoroute, et voient s’en extirper 6 personnes « d’origine africaine ». Le mini-van remet les gaz et tente d’échapper au contrôle. Il sera rattrapé un peu plus loin. Pour sa défense, Hussein affirmera qu’il n’avait pas compris qu’il s’agissait de policiers. Pour le reste, il reconnaît avoir rencontré un Pakistanais qui lui aurait demandé de transporter les migrants contre rémunération. Un geste humanitaire? «Oui», mais envers lui. «C’est moi que j’ai voulu aider », dira-t-il à la barre.
Un cousin tombé du ciel
À la barre, où venait de comparaître un peu plus tôt Bachir, 34 ans et Rahmane 42 ans. Ces Marseillais sont poursuivis pour les mêmes faits qu’Hussein. Le 27 juin, ils ont été interpellés à bord d’une Audi au péage de la Turbie, avec à bord un Algérien en situation irrégulière. Leur histoire, Rahmane la raconte comme une virée entre potes. Il doit emmener un cousin à Marignane, il demande à Bachir de l’accompagner avec sa voiture. Bachir veut alors poursuivre jusqu’à Nice pour voir de la famille. Et de Nice, voyant un panneau « Gênes », ils décident d’aller manger une pizza à Vintimille. Vintimille où Bachir tombe «par hasard » sur un Algérien qu’il découvre, affirme-t-il, être un vague cousin à lui et qu’il décide de ramener à Marseille. Une belle histoire qui ne plaît pas au procureur. Julie Rouillard évoque « un cousin tombé du ciel», «une histoire grotesque ». Pour elle, l’aide à l’entrée est caractérisée et l’intention aussi. Elle requiert 10 mois pour les deux. Bachir en prendra 8 avec mandat de dépôt. Rahmane qui pourrait bien avoir été « le dindon de la farce», comme a plaidé son avocat, prendra 8 mois lui aussi mais aménageables.
« On n’est pas sur de l’entraide familiale »
Et décidément, il y a de l’action à la Turbie. C’est là également que Martina, une jeune Italienne, a été interpellée au volant de sa voiture, le 10 juillet à 1 h et quelque. À ses côtés un ami, Soulaimana, la quarantaine. Et derrière, un étranger en situation irrégulière. Du box, Martina s’excuse et s’excuse encore. Elle vit chez ses parents et est vendeuse à Monaco. Elle pensait, chuchote-t-elle l’air hagard, « rendre service à son ami et ramener des membres de sa famille comorienne ». Mais là aussi, pas de chance, les policiers se sont penchés sur leurs conversations via la messagerie instantanée Messenger, où le mot client apparaît régulièrement et où des sommes d’argent sont évoquées. «Combien il y en a?» «6 clients à 100», «OK donc 600?». Pour le président, c’est clair, «on voit bien que c’est un transport rémunéré et organisé». D’autant qu’il y aurait eu d’autres convoyages. Les prévenus nient « ces discussions c’était de la rigolade, on s’amusait ». Frédéric De Baets, l’avocat de Soulaimana, tente de défendre un client « au parcours extraordinaire, au profil atypique » : casier vierge, intégration parfaite. Et seulement ce dérapage : « Il a voulu aider sa famille comorienne». Audrey Massei, l’avocate de la jeune femme, essaie, de son côté, de mettre en avant un profil bien inhabituel pour un passeur. « Il ne s’agit ni d’un trafic humanitaire ni cupide. Elle croyait vraiment que c’était de la famille de Soulaimana». Avant les plaidoiries, Julie Rouillard avait asséné : «On n’est pas sur de l’entraide familiale, on est sur des gens qui agissent pour de l’argent. Vous avez une vraie activité organisée et rémunérée». Dixhuit mois de prison ferme avaient été requis pour les deux pieds nickelés-passeurs. Martina et Soulaimana prendront 12 mois ferme. 1. « Votre pays est une dictature !, vous comprenez ». « Un an (de prison) ? Mais un an pour quoi ?»