L’ombre d’un doute
« Nous avons un déficit de pédagogie » ; « nous devons mieux expliquer notre action »; « la majorité doit faire bloc et protéger le Président ». Depuis qu’il roule sa bosse dans les couloirs de la politique, le chroniqueur doit bien avoir entendu cinquante fois cette ritournelle – aujourd’hui, on dit « éléments de langage ». La petite musique qui se répand dans les allées du pouvoir est la même que l’on entendait hier à chaque fois que le chef de l’État – appelez-le Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande – décrochait dans les sondages. Pour Emmanuel Macron, ce n’est pas encore la cote d’alerte. Mais déjà la fin d’un état de grâce qui aura été exceptionnellement bref. L’opinion n’a pas encore basculé. Elle est dans une expectative teintée d’impatience. Ce n’est pas la colère qui plane sur la rentrée. Plutôt l’ombre d’un doute. Sondage Elabe pour BFMTV : jours après son entrée à l’Élysée, % des Français jugent l’action du président « satisfaisante » ; % « décevante ». % estiment qu’il est trop tôt pour se prononcer. C’est le bon sens même. Car après une courte période de rodage – où le chef de l’État a surtout brillé sur la scène internationale – c’est maintenant, maintenant seulement, que l’on entre dans le dur avec deux réformes clés, Code du travail et fiscalité, qui sont les premiers tests, en grandeur réelle, de la capacité du pouvoir de mener à bien ce qui constitue au fond le coeur du pacte passé avec les électeurs : le déverrouillage de la France. Vaste programme, aurait dit le Général. Pas simple à mettre en oeuvre dans un pays qui adore l’idée de réforme, beaucoup moins ses implications. Et où le tissage serré des avantages acquis, des intérêts catégoriels et de l’inertie bureaucratique a montré dans le passé son aptitude à persévérer dans l’être. En politique, il n’y a jamais de page blanche. Les écueils qui attendent le chef de l’État sont les mêmes qu’ont dû affronter ses prédécesseurs. Les mêmes handicaps (perte de compétitivité du site France, surpoids de la sphère publique) ; et toujours la même contrainte budgétaire, qui condamne tout pouvoir à déplaire. Car on n’a pas trouvé d’autre solution pour réduire les déficits que de diminuer les dépenses... qui pour les destinataires (fonctionnaires, chômeurs, retraités, etc.) sont d’abord des recettes. Pour réussir l’opération déverrouillage, Macron a des atouts. Son image personnelle reste excellente (il est jugé dynamique, autoritaire, sympathique, et % des Français le jugent capable de réformer le pays). Monsieur « Baraka » peut aussi compter sur l’embellie de l’économie, tirée par la reprise européenne et mondiale. Pour , l’Insee table sur , % de croissance. Du jamais vu depuis . Politiquement, pour Macron, la conjoncture est beaucoup plus incertaine, avec une gauche qui s’est radicalisée autour de Mélenchon ; une droite tentée par la ligne Wauquiez, étoile montante des Républicains ; Hollande qui semble décidé à jouer la mouche du coche ; et Bayrou qui commence à prendre ses distances (une habitude chez lui). Surtout, le système Macron semble assez mal équipé pour affronter le gros temps. Un Premier ministre qui peine à exister. Un gouvernement d’un haut niveau de technicité, mais politiquement très léger. Un groupe parlementaire qui a les défauts de ses qualités : nombreux donc hétéroclite ; nouveau donc inexpérimenté. Un parti inconsistant, qui ne pèse d’aucun poids dans le débat public. La macronie est un champignon politique : comme les champignons, elle a poussé très vite mais n’a pas de racines. Tout cela est si fragile qu’il serait hautement périlleux pour Macron d’espérer, à la manière d’un Hollande, que le temps finisse par lui donner raison. C’est très vite qu’il lui faut démontrer sa capacité à faire bouger le pays. Les quinquennats précédents l’ont montré : en politique, comme disait Barbara, « le temps perdu ne se rattrape plus ».
« La macronie est un champignon politique : comme les champignons, elle a poussé très vite mais n’a pas de racines. »