Chaude, acide: comment sauver la Méditerranée?
En moins de 10 ans, les chercheurs de l’Observatoire de Villefranche-sur-Mer ont mesuré des changements extrêmement rapides dus à l’émission de CO2 : une hausse forte et rapide de la température de surface et de l’acidité qui menace les organismes marins.
Port de la darse de Villefranche-sur-Mer. Il est un peu plus de 8 heures. Hortense de Lary et Franck Petit, scientifiques au laboratoire d’océanographie, chargent à bord du frêle esquif, le Vellele II, toute une série d’instruments de mesure et de prélèvement. Bouteilles Niskin, sondes… Sans traîner, ils mettent le cap sur l’entrée de la rade. En manoeuvrant entre le gigantesque bateau de croisière au mouillage et les navires des plaisanciers. Aujourd’hui, Samir Alliouane les accompagne. Cet ingénieur au CNRS-Université Pierre-etMarie-Curie (CNRS-UMPC) analyse l’acidification des océans. Il rentre d’une mission de quinze jours en Arctique où le laboratoire a une station d’observation.
« Une hausse plus rapide que partout ailleurs dans l’océan global »
Chaque semaine, au « point B », à moins de dix minutes de bateau de leurs laboratoires, ils prélèvent des échantillons d’eau de mer, en surface et dans les profondeurs. Jusqu’à 135 mètres de fond. Immergent des sondes. Ils mesurent ainsi la température, la salinité, le pH… Au total, dix-huit paramètres sont étudiés pour prendre le pouls de la Méditerranée. Et les résultats sont alarmants. En dix ans à peine, la température de l’eau en surface a augmenté de 0,7 °C, et l’acidité de 7 %. Des changements extrêmement rapides. « La hausse de la température y a été plus rapide que partout ailleurs dans l’océan global, et celle de son acidité l’une des plus fortes jamais mesurées dans le monde »,
pose JeanPierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS. Avant de présenter les graphiques, issus des séries de mesures prises depuis 2007.
« Cette année-là nous avions relevé, mi-août, un maximum de 25 °C. En 2015, on a dépassé 27,6 °C. »
Et qu’en est-il cet été ? Jean-Pierre Gattuso affiche les données sur son écran. «Le 7 août, on
était à 26,6 °C. » Et ce réchauffement n’est pas vraiment une bonne nouvelle. Excepté pour les baigneurs frileux.
«La Méditerranée se réchauffe plus vite parce que c’est une mer fermée, entourée de terres arides. Et les projections montrent que ce réchauffement va se poursuivre, plus qu’ailleurs. »
Une évolution qui présente de nombreuses conséquences. Il prend l’exemple de la canicule de 2003. Un été où en raison de l’absence de vent, la colonne d’eau était restée très stable, la température avait grimpé.
« À 30 mètres de fond, les gorgones et les coraux avaient été décimés.»
Autre effet du réchauffement climatique au large de nos côtes :
« La posidonie, cette plante emblématique de la Méditerranée se trouve aujourd’hui à la limite de la température qu’elle peut supporter. Elle risque de disparaître. Or, elle produit de l’oxygène et sert de nurserie pour certains poissons. »
Jean-Pierre Gattuso met en avant les «gagnants» de ce réchauffement climatique. « C’est bénéfique pour certaines espèces, on trouve plus de mérous au large de nos côtes, des barracudas aussi. On a une Méditerranée qui devient presque subtropicale. » Autre conséquence de l’émission de gaz à effet de serre : les océans sont plus acides. Un motif de préoccupation pour ces « vigies ».
Disparition des moules... à l’horizon
« Un quart du gaz carbonique dégagé par les activités humaines est absorbé par les océans, c’est une bonne chose par rapport au changement climatique, mais le CO2 se dissout dans l’eau et augmente l’acidité. Le problème, c’est que les organismes qui ont un squelette calcaire ou une coquille sont sensibles à cette acidification. Car pour fabriquer leur coquille ou squelette, ils ont besoin de carbonate de calcium, or ce dernier diminue quand l’acidité augmente. » Il pose sur son bureau du corail de Méditerranée, des algues calcaires, des coquilles. Avant de poursuivre :
« Pour les moules, c’est dévastateur. En 2100, ce sera dur d’en cultiver en Méditerranée nord-occidentale.»
S’il s’emploie à mieux comprendre l’Océan du futur, c’est pour pouvoir agir.
« Le risque, quand on aborde la question du changement climatique, c’est de verser dans le catastrophisme qui est démobilisateur. Or, il y a une voie de sortie, on peut limiter les dégâts pour les décennies à venir. »