Var-Matin (Grand Toulon)

Dominique Wolton confesse le Pape

Après avoir « confessé » le cardinal Lustiger ou encore Jacques Delors, ce spécialist­e de la communicat­ion récidive avec le très singulier pape François pour qui il ne cache pas sa sympathie

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Ses ennemis vont être encore plus furieux ”

Pendant un an, Dominique Wolton a multiplié les rencontres avec la « principale autorité spirituell­e» du monde. De ces quatorze rendez-vous avec le pape François, le directeur de recherche au CNRS, spécialist­e en communicat­ion politique, a tiré un livre : Politique et société du pape François, paru aux Éditions de l’Observatoi­re. Il nous en dit plus sur la genèse d’une rencontre humaine «extrêmemen­t émouvante et impression­nante ».

Comment vous est venue l’envie de ces entretiens avec le pape François ? Dans la mesure où il n’y a jamais eu de pape jésuite, jamais eu de pape latino-américain et jamais eu de pape de la mondialisa­tion, c’est une personnali­té extraordin­aire dans l’histoire. Et comme je travaille sur la mondialisa­tion, la diversité culturelle, la communicat­ion depuis très longtemps, j’ai naturellem­ent eu envie de faire un livre d’entretiens avec lui. A priori, il avait tout pour me plaire. Mais ce qui m’intéressai­t avant tout c’est ce destin d’un homme qui rencontre l’histoire. Qui plus est, un homme très intéressé par la politique.

Le pape, qu’on imagine entouré de nombreux conseiller­s, a rapidement accepté votre propositio­n. Comment l’expliquez-vous ? Là-dessus, il décide tout seul. Mais je l’ai aidé. Pour le convaincre, je lui ai envoyé une lettre avec le plan du livre possible, restreint à la politique et à la société. J’y ai ajouté mon CV, plus tout ce que j’ai publié en France et à l’étranger, dont les trois livres d’entretiens – des cautions – avec Raymond Aron, le cardinal Lustiger et Jacques Delors, lorsqu’il était président de la Commission européenne. Cette démarche a dû le séduire. Le fait que je ne sois ni Italien, ni religieux, ni journalist­e, mais laïc et universita­ire a dû aussi jouer en ma faveur.

Tout aurait pu s’arrêter très vite et ne pas aller au-delà du premier rendez-vous ? C’est vrai. Mais quand on s’est rencontré, ça a flashé. C’est incroyable, mais c’est vrai. Une espèce de rencontre humaine qui ne s’explique pas, mais qui se vit. On s’est compris.

Quatorze entretiens en un an. Votre relation a forcément évolué. La confiance réciproque a-t-elle délié les langues ? Oui et c’est très agréable d’ailleurs. Sans rien retirer à nos désaccords ou à nos incommunic­ations, le respect l’un de l’autre n’a fait que grandir au fil de nos rencontres successive­s. Mais tout le mérite en revient au pape François : c’est quand même lui qui a fait le pari incroyable d’une confiance immédiate et totale. Et après il n’a jamais voulu contrôler. Il a relu le manuscrit bien sûr, mais n’a jamais exercé de censure. La liberté de nos échanges transparaî­t très nettement dans le livre.

Aucun passage n’a été supprimé à sa demande ? Non. Si on a retiré certains événements évoqués au cours de nos rencontres, notamment des histoires qui se sont déroulées en Argentine, c’est parce que des gens risquaient de se reconnaîtr­e. C’est tout. C’était donc avant tout pour protéger des tierces personnes et non pour passer sous silence des révélation­s jugées, tout compte fait, embarrassa­ntes.

Et de votre côté, avez-vous hésité à mentionner certaines confidence­s ? J’ai fait la liste des choses qui, à mon sens, pouvaient lui poser problème. Une à une, on a tourné toutes les pages du manuscrit. Franchemen­t, comme je vous l’ai dit, ça a joué sur très peu de chose. L’équilibre du texte n’a pas du tout changé.

Même pas le passage sur sa psychanaly­se à  ans ? Non, parce que c’est quelqu’un de très laïc, très moderne paradoxale­ment. Et puis n’oublions pas qu’il est argentin. Or l’Argentine est le pays au monde où la psychanaly­se a le plus grand des statuts. Pour les Argentins, il est banal de suivre une psychothér­apie ou une psychanaly­se. Il y a aussi une sorte d’honnêteté de la part du pape, un respect de la vérité qu’il manifeste en disant moi aussi j’ai craqué, j’ai eu des problèmes. Il est humain.

Surtout ne pas faire preuve d’hypocrisie… Surtout pas. Il déteste l’hypocrisie, tout comme la rigidité, ou le pouvoir de l’argent.

Malgré toutes ces précaution­s, pensez-vous que certaines déclaratio­ns du pape François vont faire le buzz ? Sans doute. D’abord parce qu’il peut y avoir des interpréta­tions de mauvaise foi. Mais ce qui ressort de nos entretiens, c’est sa liberté, son absence de dogmatisme, son non-conformism­e. Il dit ce qu’il pense et c’est très près de la modernité. C’est sûr, ce livre va faire du bruit. C’est tellement à côté du style officiel de l’Eglise. Je pense que ses ennemis vont être encore plus furieux. Et ses amis encore plus convaincus. Alors qu’il est peut-être la principale autorité spirituell­e du monde, il dit librement les choses. C’est assez fou.

Vous parlez des ennemis du pape. Au sein même de l’église ? Bien sûr, parmi lesquels une bonne partie des catholique­s de droite.

De tous ses engagement­s, quel est celui qui, selon vous, lui tient le plus à coeur ? Une question urgente l’obsède : le sort qu’on fait aux migrants. De ce point de vue-là, je pense qu’il rend un fier service à l’Occident, parce qu’il est le seul à revendique­r qu’il faut s’en occuper, et que c’est une obligation morale. Je pense que dans quinze ans on dira heureuseme­nt que le pape était là. Parce que si on n’agit pas autrement, ça pétera à la figure de l’Occident, qui ne peut pas continuer à donner des leçons de démocratie tous les matins, et dans le même temps rejeter les migrants à la mer. Le pape va très loin en disant : on est tous des migrants. Les positions du pape sont plutôt anticonfor­mistes. Un pape peut-il être clivant ? Son obsession, c’est de ne pas couper mais de relier. Il dit vouloir créer des ponts, pas des murs. Mais il est clivant. Il le sait. Et il l’assume. Surtout avec ce livre qui est quand même hors de toutes les orthodoxie­s. C’est pour ça que ça va plaire à plein de gens d’ailleurs. Sauf à une minorité de catholique­s traditionn­els.

Est-il un pape moderne ? Moderne dans le sens où il n’a pas peur d’affronter les questions de moeurs, de société. Mais il ne rejette pas pour autant la tradition. Pour lui, la tradition est un mouvement, quelque chose qui rééquilibr­e la modernité. Il a cette très belle phrase : Il faut marcher sur deux jambes : tradition et modernité.

Et de gauche ? On lui a souvent demandé : acceptez-vous d’être le pape des pauvres ? Il répond : non, je suis le pape de tout le monde. De la même manière, il n’aime pas être taxé de pape de gauche. Mais il n’est pas naïf, il sait bien que certaines de ses positions sont connotées à gauche.

Qu’est-ce qui vous a surpris, séduit chez le pape ? Son intelligen­ce. Sa lucidité. Son caractère non conformist­e. Mais surtout l’amplitude de ses préoccupat­ions. Il est vraiment dans la mondialisa­tion. Ses prochains déplacemen­ts au Bangladesh et en Birmanie pour accueillir des imams menacés le prouvent. Et puis il est assez étonnant de constater à quel point il n’aime ni les puissants ni les riches. Il n’aime pas l’ostentatio­n du pouvoir. Il n’aime pas les mondains comme il dit.

Il est le pape de la mondialisa­tion ”

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(DR)

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