Var-Matin (Grand Toulon)

 : le livre qui révèle

Il est signé Stéphen Liégeard, sous-préfet bonapartis­te et poète, qui y décrit le patrimoine du Var et des Alpes-Maritimes lors d’un périple de Marseille à Gênes

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Vous souvenez-vous des lectures de votre enfance? Dans les Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet se trouvait le personnage du « Sous-préfet aux champs». Ce doux rêveur que l’amour de la nature détournait de son travail administra­tif avait été inspiré par un personnage réel, sous-préfet à Carpentras. Il s’appelait Stéphen Liégeard. Au cours des années 1880, il parcourut la côte méditerran­éenne de Marseille à Gênes. Il raconta ensuite son périple dans un livre. Cet ouvrage au riche langage poétique du XIXe siècle, paru en 1887, couronné par l’Académie française, était intitulé La Côte d’Azur. Ce titre était si beau que notre région en fit aussitôt son nouveau nom, abandonnan­t celui de «Riviera ». La première étape varoise de Liégeard est Toulon : «Toulon est le fief du marin. Dans ses rues, sur ses places, le long de ses quais, partout la casquette galonnée de l’officier croise la vareuse du matelot. On n’y entend plus, Dieu merci, la chaîne du galérien sonner lugubremen­t son glas sur le pavé. La peste ne s’y promène désormais que de loin en loin ; même une propreté relative a eu raison des hideux ruisseaux». Voici l’arsenal. Stéphen Liégeard y trouve trace du siège de Sébastopol où, en 1854, pendant la guerre de Crimée Français et Anglais battirent les Russes. Mais aussi du bagne, fermé en 1 873. « Vous frôlez ici, en passant, l’obus cerclé de cuivre qui monte la garde près des pièces ramenées de Sébastopol. Le coeur vous bat devant une noix de coco sculptée par la main criminelle d’un forçat de l’ancien bagne. Ce qui captive davantage, c’est la salle d’armes. Comme le vieil honneur français relève ici la tête ! » Le long du port, l’enthousias­me de Liégeard décline : « Celui-ci est bordé de maisons sans style. Les tentes et les cafés y empiètent sur un quai bien étroit. Les magasins sont peu élégamment fournis. Les promeneuse­s n’affichent aucun luxe. » Au siècle suivant, le bombardeme­nt de 1943 anéantira cette pauvre architectu­re, entraînant la reconstruc­tion totale de la « Frontale » du port par l’architecte parisien JeanJacque­s de Mailly (1911-1975), futur concepteur du quartier de la Défense à Paris.

À Hyères, les rues casse-cou

Après Toulon, voici Hyères. Enivré par la senteur des jardins, Stephen Liégeard décrit « la beauté de l’eucalyptus, conquête de l’Australie, conquérant de la Côte d’Azur. » Car c’est la première fois qu’il emploie ces mots mythiques de « Côte d’Azur ». Cette phrase anodine, jaillie au fil de la plume, est devenue historique ! Sur les hauteurs d’Hyères trônent les ruines du château. Là régnèrent au Moyen Âge les seigneurs de Fos. Là séjournère­nt François Ier et Charles IX. Le château fut détruit par Louis XIII : « Pyramidant au haut du roc aigu qui domine la campagne, au-dessus des tuiles brunes de la vieille cité et des toits rouges de la ville neuve, cette ruine superbe fait onduler sa ceinture féodale cloutée de tours encore debout. À qui veut interroger ce débris plein d’enseigneme­nts il faut, coûte que coûte, aborder des pavés pointus et poisseux, les escaliers en échelle, les casse-cou appelés rues! » Pour 40 francs, un attelage de « petits chevaux corses, méchants comme des ânes de Perse, grelots au cou, plume de héron à l’oreille » conduit Stéphen Liégeard d’Hyères à Saint-Tropez. Il visite la cité avec « ses pignons irisés de toutes les nuances, sa citadelle en décor, ses rez-de-chaussée briselames opposant leurs portes pleines aux indiscrète­s visites de la vague, son petit port aux tartanes pavoisées et les vertes collines dont la ceinture l’enserre ». Il observe la tour Guillaume, construite en 980, qui passe pour être le plus vieil édifice de la cité, qui se dresse toujours derrière le port. Ce fut le lieu de résidence de la famille du célèbre navigateur Suffren, bailli de SaintTrope­z, héros des grandes batailles de la Marine royale française dans l’Atlantique et l’Océan Indien au XVIIIe. À Fréjus, Liégeard s’enflamme pour l’histoire antique : « Voilà debout, sur son trône, Fréjus, la fille des Empereurs !… Vers cette plaine – qui fut un port – cinglaient les galères. Ce port antique constituai­t une des trois grandes stations navales de l’Occident… »

Cannes reine de la Riviera

Un port ? En voici un autre. Mais de plaisance : Cannes. « De toutes les charmeuses embusquées sur la Riviera, Cannes demeure pour nous l’incomparab­le reine. Assise aux derniers degrés d’un amphithéât­re que réchauffen­t les feux du midi, protégée du nord par une ceinture ininterrom­pue de collines, bravant le mistral sous l’écran de l’Estérel, elle ne connaît ni l’écharpe humide du brouillard ni les cruelles morsures de la gelée. » La ville a été lancée au milieu du XIXe siècle par l’Écossais Lord Brougham, qui s’y est fait construire l’une des belles demeures aristocrat­iques de l’époque, la villa Eléonore-Louise : « L’ex chancelier du Royaume-Uni achète toute une colline. Coupant en pleine nature, il dessine un parc, suspend des parterres, précipite des eaux, marie la liane des tropiques au tronc noueux de l’olivier, et sous la colonnade de son riant asile offre, en Écossais de race, l’hospitalit­é la plus large aux célébrités qu’attire sa renommée ». Attiré comme par un aimant, Stéphen Liégeard va décider de s’installer tout à côté dans la villa des Violettes qui deviendra sa maison. Les deux villas ont été aujourd’hui englouties dans des lotissemen­ts : la villa Éléonore-Louise située au 24, avenue du docteur Picaud, la villa des Violettes au 5, avenue Stéphen-Liégeard. La « Côte d’Azur » que décrit si poétiqueme­nt Stéphen Liégeard dans son ouvrage de , n’est pas réduite au territoire qu’on lui connaît aujourd’hui mais s’étend de… Marseille à Gênes. Le périple magnifique­ment décrit par l’ex sous-préfet commence en effet sur la Canebière et s’achève sur la colline de l’Albaro, près de Gênes, en « quittant par la porte de l’Espérance ce pays de lumière ».

 ?? (Photos DR) ?? Stéphen Liégeard, l’esthète, dandy, poète, qui a donné son nom à notre région. Couverture de la première édition de « La Côte d’Azur ». Toulon a été sa première étape varoise. Les arènes de Fréjus : toute la grandeur antique de «Forum Julii». La villa...
(Photos DR) Stéphen Liégeard, l’esthète, dandy, poète, qui a donné son nom à notre région. Couverture de la première édition de « La Côte d’Azur ». Toulon a été sa première étape varoise. Les arènes de Fréjus : toute la grandeur antique de «Forum Julii». La villa...

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