Zabou Breitman en Liberté
Le Liberté, scène nationale, ouvre sa saison demain jeudi avec une de ses productions : Logiqueimperturbabledufou, dernière création de Zabou Breitman. A voir jusqu’à dimanche
Quand certains metteurs en scène ne peuvent créer que dans la souffrance, Zabou Breitman couvait des yeux hier, les quatre jeunes acteurs de sa pièce Logiquimperturbabledufou, en train de faire du yoga, afin de pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes aux représentations. Sa dernière création produite par le Liberté, librement inspirée d’oeuvres de Tchekhov, Shakespeare, Lewis Carroll, avec ses textes (et des clins d’oeil à Zouc) traite de la folie, mais dans tout ce qu’elle peut impliquer aussi de poétique. Un spectacle vivant, qui a déjà évolué depuis sa première (un succès) à Avignon. « Il faut être prêt toujours à être surpris, se laisser faire par l’inattendu aussi, être poreux. C’est l’âme d’artiste, ne pas s’empêcher de voir quelque chose, parce que c’était là et on l’a pas vu », nous expliquait-elle, hier, sur sa manière de travailler. Peut-être une façon, pour nous aussi, de découvrir cette création…
Après vos deux précédentes pièces Des gens et La compagnie des spectres, vous abordez une nouvelle fois, le thème de la folie. En quoi vous hante-t-elle ? Le premier texte de la pièce, tiré de La Salle n° de Tchekhov, se passe entre un patient un médecin. Le patient dit : « Mais pourquoi me gardez-vous ici ? On n’est pas moins bien que vous ». Le médecin dit « (...) à partir du moment où il y a des asiles et des prisons, il faut bien qu’il y ait quelqu’un dedans… ». Je me suis aussi beaucoup inspirée de la folie douce, d’Erasme. Quand il fait l’éloge de la folie, il parle aussi de la liberté. Donc, les fous sont des gens en marge, à la marge. Et la marge est toujours l’endroit idéal pour regarder l’être humain. Si on observe très consciencieusement un enfant de trois-quatre ans et que l’on fait faire à un adulte ce qu’il fait, on se dit, « mais il est fou, l’adulte ! ».Ily a un mélange entre ce que l’on apprend, pour vivre ensemble en société, et aussi ce qu’on sclérose, ce qu’on empêche. C’est selon que l’on soit devant la porte ou derrière… Si on déplace le centre, ils ne sont pas fous. Il y a une norme, elle est là, mais elle peut bouger aussi. C’est un thème extrêmement riche, qui parle de l’art, qui parle de la poésie…
On sent sourdre aussi la violence des soignants… Oui, ça peut arriver, ce n’est pas le sujet principal. Ce que ça raconte, ce n’est pas la violence, c’est surtout l’incohérence des soignants. A un moment, un soignant devient plus fou que le fou. Ce n’est pas tant une charge sociétale – elle y est aussi bien entendu –, que la manière de montrer la fragilité de ce rapport. Ce n’est pas simple pour les soignants. Vous savez, il y a des gens qui rendent dingues. Oui ça rend fou, et on va dire, pour le coup, que les soignants ne sont pas suffisamment nombreux. Le sujet s’arrête là, parce que ce qui est intéressant, c’est de voir la fragilité de l’être humain.
Est-ce que vous êtes allée dans les hôpitaux psychiatriques ? Oui, c’est plutôt sur le documentaire que je travaille. Après, j’ai des potes qui sont soignants.
Vous citez une comédienne qui a marqué toute une génération : Zouc. Et dont on parle très peu… Très peu ! Extraordinaire actrice. C’est du one woman show, mais au-delà de ça, c’est surtout de la poésie. C’est Yves Jeuland, grand documentariste qui m’a dit « il existe une interview magnifique de Zouc, à ans ». Je l’ai regardée. A un moment, elle dit « j’aimerais faire un spectacle où il n’y ait pas d’acteurs, que les acteurs soient des fleurs ». Du coup, j’ai mis des fleurs dans le spectacle. C’est une réponse à cette voix, à cette femme. C’est une petite déclaration d’amour à Zouc.
La bande-annonce de votre spectacle donne une impression de légèreté. Vous avez fait appel à un clown… Il n’y a pas de clown sur scène, mais les acteurs ont travaillé avec un acrobate, qui est clown aussi, ainsi qu’avec un autre clown et une chorégraphe. A un moment donné, il y a un petit « lapin » qui grimpe sur un type qui est en train de marcher, ça demande un vrai travail de coordination, un travail physique énorme. Les clowns sont drôles, parce que ça a à voir avec la mort, et on rit.
Vous avez effectué deux résidences à Toulon… Oui, on en a fait cinq en tout, dont une grande à la Chartreuse à Villeneuve-lez-Avignon, puis à Malakoff et une à Antibes, tout cela sur deux ans. Comme les acteurs n’étaient pas circassiens, ils ont dû apprendre et ils ont développé des choses extraordinaires. Dans le spectacle, ils doivent être très légers, très habiles. Et puis cela les centre sur scène. Ils sont très jeunes. La moyenne d’âge est de ans. Tous les acteurs devraient travailler comme ça. Moi, j’aime beaucoup le travail visuel. Il n’y a pas que du texte. C’est du spectacle vivant, très vivant. Là, par exemple, on a rajouté une scène entière qui n’était pas à Avignon.
Cette envie pour vous d’introduire du Shakespeare, du Tchekhov, c’est une désacralisation des oeuvres pour un retour aux sources ? C’est pas la volonté première, mais si les gens le reçoivent comme ça… C’est un spectacle qui se voit à tellement de niveaux différents. Parfois, les gens ne bronchent pas pendant le spectacle, parfois ils rient beaucoup.
Vous mettez aussi en scène votre fils, Antonin Chalon, dans cette pièce. Vous perpétuez la tradition familiale () ? Oui, oui, tout à fait. On va vite ensemble, il comprend vite. Comme moi, j’ai l’habitude, il n’y a pas de différence pour moi. Pour moi, c’est un comédien, comme les trois autres. Pour les gens, c’est plus impressionnant, je pense.
Quels sont vos autres projets actuellement ? Là, j’ai fait la nouvelle série de Canal+ que j’ai entièrement réalisée, coécrite. Elle s’appelle Paris, etc. Cinq femmes dans Paris. C’est très particulier. Ça reste quand même surréaliste. J’aime le surréalisme, les décalages…
1. Zabou Breitman, petite fille fit une première apparition dans un épisode de la série écrite par son père, Jean-Claude Deret, Thierry la Fronde, avec sa mère la comédienne Céline Léger, dans le rôle d’Isabelle.
Savoir +
Représentations de jeudi à samedi, à 20h30, dimanche à 16 h (à partir de 12 ans) au Liberté. Adaptation en langue des signes par Lucie Lataste, suivie d’une rencontre avec les artistes, le vendredi. Tarifs de 5 à 28 euros, selon conditions. covoiturage possible. Rens et rés. www.theatre-liberte.fr
J’aime le surréalisme, les décalages ”