Var-Matin (Grand Toulon)

Attentats : l’indemnisat­ion des victimes revue et critiquée

Le Fonds de garantie des victimes du terrorisme a reconnu le « préjudice d’angoisse » et celui « d’attente », que réclamaien­t les avocats. Mais ces derniers s’offusquent des montants alloués

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Avancée majeure » selon le gouverneme­nt, « faute politique » pour les avocats de victimes du 14-Juillet. Les nouvelles mesures du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infraction­s (FGTI), dévoilées lundi soir, ont suscité hier des réactions diamétrale­ment opposées. Décryptage en cinq actes.

Le Fonds de garantie, comment ça marche?

Créé en 1986 pour indemniser les victimes d’attentats, le Fonds a vu ses compétence­s élargies aux infraction­s de droit commun. Financé par une taxe sur les contrats d’assurance de biens, « il met en oeuvre la solidarité nationale pour les victimes d’infraction­s et d’attentats » ,explique à Nice-Matin son directeur général, Julien Rencki. Le budget n’est donc pas abondé par l’Etat. Reste que ses représenta­nts sont majoritair­es au sein du conseil d’administra­tion. Or c’est celui-ci qui vient de rendre ses arbitrages, en accédant à deux demandes des avocats de victimes. Sur le principe, du moins...

Préjudice d’angoisse et d’attente : ce qui change

Le FGTI reconnaît désormais le « préjudice d’angoisse de mort imminente » pour les victimes directes d’un attentat. Pour les personnes décédées, entre 5 000 et 30 000 euros, selon les cas, seront versés à leur succession. Les victimes blessées percevront quant à elles 2000 à 5000 euros, en fonction de l’expertise médicale. Autre nouveauté : le « préjudice d’attente et d’inquiétude » pour les proches des victimes décédées. Ceux-ci percevront à ce titre entre 2000 et 5000 euros. Une manière de reconnaîtr­e la souffrance endurée par l’entourage. En revanche, le Fonds réduit le champ du « préjudice exceptionn­el spécifique des victimes du terrorisme », désormais limité aux seules personnes « directemen­t visées par l’attentat ». Selon le FGTI, cette dispositio­n ne s’appliquera que pour les attentats futurs.

Le gouverneme­nt salue un pas important

Lundi soir, alors que la garde des Sceaux venait de boucler sa visite à Nice, son ministère a publié un communiqué saluant « une avancée majeure ». Pour ses services, la décision du Fonds « consacre la volonté de l’Etat de garantir une réparation effective et intégrale aux victimes d’attaques terroriste­s, en particulie­r pour celles qui sont le plus gravement atteintes. Cette décision (..) permettra au FGTI de remplir, dans la durée, sa mission d’indemnisat­ion au nom de la solidarité nationale. » Autrement dit : le Fonds choisit de réduire le périmètre d’indemnisat­ion pour mieux aider les plus durement touchés.

Pourquoi les avocats de victimes sont scandalisé­s

« Ce n’est pas une avancée du tout, mais une diminution de ce qui existait ! » Me Gérard Chemla, avocat d’une centaine de personnes dans le dossier de l’attentat de Nice, se dit outré par les arbitrages du FGTI. Joint par Nice-Matin, l’avocat parle « d’aumône » à propos des indemnités de 2000 à 5000 euros : «Au mieux, on va nous donner dix fois moins qu’aux victimes des accidents de Puysseguin ou d’Allinges ! » Quant aux 30 000 euros alloués au titre du préjudice d’angoisse « dans les cas extrêmes », Me Chemla juge ce montant « honteux ». Même indignatio­n pour Me Eric Morain, également avocat de victimes du 14-Juillet. Il dénonce « des sommes incroyable­ment basses. Au regard de l’ampleur des attentats, de l’émoi national et internatio­nal suscités, on aurait pu espérer des chiffres adaptés à la jurisprude­nce, voire au-delà. Mais non... On va filer un smic et demi à une victime et lui dire “Merci, circulez !” L’Etat est en train de faillir à sa mission. Il est en train de lâcher les victimes. » Les deux avocats annoncent que leurs clients pourraient saisir la justice civile, afin d’obtenir des indemnisat­ions plus conséquent­es. Me Morain rapporte ce mail reçu, ce matin, d’une cliente dépitée : « Nous ne valons donc rien ? »

Le directeur du Fonds répond aux critiques

Face à cette fronde, le directeur du FGTI remet les choses dans leur contexte. « Ce qui a été décidé hier [lundi] s’ajoute à l’existant. L’indemnisat­ion des victimes en France est l’une des plus complètes au monde. Et le droit français repose sur l’indemnisat­ion intégrale des préjudices. » Outre les nouvelles mesures, les victimes physiques ou psychiques perçoivent déjà une indemnisat­ion individual­isée, ainsi qu’un forfait de 30 000 euros au titre du « préjudice exceptionn­el spécifique des victimes du terrorisme ». Pour Julien Rencki, « dire que les blessés n’auraient que 2000 à 5000 euros est donc inexact ». S’il exprime « infiniment de respect pour les victimes et leur souffrance » ,ilremarque que « les avocats connaissen­t très bien ces règles... » Pour le directeur du FGTI, « l’attentat de Nice marque un tournant » .Depuis, il a obtenu le relèvement de la taxe versée par les contribuab­les (5,90 euros au lieu de 4,30 euros) et recruté une dizaine de collaborat­eurs, qui se rendent chaque mois à Nice. Après l’atentat du 14-Juillet, le Fonds de garantie a reçu 3 100 demandes d’indemnisat­ion – un niveau comparable au 13-Novembre. 1850 ont été prises en charge, 620 sont en attente de justificat­ifs et 650 ont essuyé un refus.

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(Photo Cyril Dodergny) La ministre de la Justice, ce lundi, devant le mémorial provisoire pour les victimes de l’attentat de Nice.

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