Var-Matin (Grand Toulon)

« Trump et Kim Jong-un jouent avec les nerfs et le feu »

Les dirigeants américain et nord-coréen vont-ils déclencher un conflit mondial? La journalist­e Juliette Morillot, spécialist­e de la Corée du Nord, estime que la situation peut déraper

- PROPOS RECUEILLIS PAR R. MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un veut faire « payer cher » au président américain Donald Trump ses menaces, faites devant l’ONU le 19 septembre, de « détruire complèteme­nt » son pays. Dans cette escalade verbale, la Corée du Nord a fait savoir que une bombe H pourrait être testée dans le Pacifique. Trump, de son côté, a imposé de nouvelles sanctions contre cet état. Nouvelle surenchère lundi de la Corée du Nord, qui estime que les États-Unis lui ont déclaré la guerre et menace d’abattre les bombardier­s américains s’approchant trop près de ses côtes. La communauté internatio­nale se divise. La journalist­e Juliette Morillot, auteur du livre La Corée du Nord en 100 questions*, analyse plus froidement la situation.

Kim Jong-un est-il fou ? Il n’est absolument pas fou. Comme son grand-père Kim Ilsung et son père Kim Jong-il, il est cultivé, éduqué et extrêmemen­t rationnel. Ce n’est pas un impulsif qui va appuyer sur le bouton nucléaire. Il a une stratégie très claire, dans la crise actuelle entre son pays et les États-Unis. Mais dire qu’il n’est pas fou, ne signifie pas qu’il n’est pas dangereux.

Quelle est sa stratégie ? Les Nord-Coréens ne veulent pas être attaqués par les ÉtatsUnis et ils pensent que grâce à l’arme nucléaire, ils ne le seront pas. Pendant la guerre de Corée, de  à , le pays a été menacé deux fois de l’arme nucléaire, par les ÉtatsUnis. Ce qui a déclenché la volonté du dirigeant de l’époque, Kim Il-sung de lancer son programme nucléaire. C’est un peu l’assurance vie des Nord-Coréens. Aux yeux de Pyongyang, elle permet de dialoguer d’égal à égal avec les États-Unis.

Qui va attaquer l’autre ? Les Nord-Coréens n’attaqueron­t pas en premier, car cela mettrait en danger la pérennité de leur régime. Mais s’ils étaient attaqués, ils rétorquera­ient. Cela étant ils ne le feraient pas forcément avec l’arme nucléaire. Ils ont déjà de quoi faire de sacrés dégâts en utilisant des armes convention­nelles. Séoul, la capitale de la Corée du Sud, c’est  millions d’habitants. Elle est à moins de  kilomètres de la frontière. Il suffit de lance-roquettes traditionn­els pour y faire des dégâts exponentie­ls.

Kim Jong-un veut-il pousser Trump à intervenir ? Même si le président américain apparaît très imprévisib­le avec ses tweets et ses déclaratio­ns violentes, j’ai du mal à croire qu’il se lance dans quelque chose comme ça. Les pays voisins, Chine, Japon, Russie déconseill­ent une attaque militaire. Pékin et Moscou appellent aussi au dialogue avec Pyongyang, d’autant que les sanctions de la communauté internatio­nale ne mènent à rien. La crise pourrait en cas de dérapage, déclencher un conflit nucléaire et mondial.

Pourquoi cette escalade verbale entre les deux ? Nous sommes face à deux égos. La personnali­té de Trump renforce Kim Jong-un auprès du peuple nord-coréen. Il apparaît comme le défenseur de la patrie. Il cimente le peuple nord-coréen derrière l’ennemi impérialis­te américain.

Comment ce petit pays peut-il déstabilis­er le monde ? La Corée du Nord et la Corée du Sud, deux pays créés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n’ont jamais signé de traité de paix après la guerre de Corée qui a suivi. Ils n’ont conclu qu’une armistice. Depuis, ce statu quo a arrangé tout le monde. Pour la Chine, la Corée du Nord est un état tampon qui la sépare de la Corée du Sud et donc des Américains. Le Japon, allié des États-Unis ne veut pas d’un état réunifié, car cela renforcera­it le sentiment anti-nippon, né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et toujours vivace en Asie. Ceci étant, le Japon prend le prétexte de la menace nord-coréenne pour se remilitari­ser. Enfin, face à la montée en puissance chinoise, une Corée du Nord diabolisée, est utile aux Américains. Elle justifie leur présence en Corée du Sud et au Japon.

Une dénucléari­sation de la Corée du Nord est-elle possible? C’est trop tard. L’arme nucléaire est inscrite dans sa constituti­on depuis . On ne peut pas imaginer un accord comme avec l’Iran : le fameux accord de  qui limite la production nucléaire iranienne au grade civil, pour l’énergie par exemple, et que Trump est en train de faire exploser. C’est très différent. L’Iran n’avait pas encore fabriqué d’arme nucléaire. En Corée du Nord c’est il y a dix ans, qu’il aurait fallu dénucléari­ser. Il va falloir accepter que c’est une nation nucléaire et négocier. Discuter ne veut pas dire accepter.

Quelle est la force nucléaire de la Corée du Nord ? Le premier essai nucléaire a eu lieu en . Là on en est au sixième. Ce dernier essai est un peu différent car il s’agit d’une bombe thermonucl­éaire, une bombe H. Elle est  fois plus puissante que celle qui a frappé Hiroshima. Le pays dispose à présent de missiles à longue portée, capables d’atteindre la côte ouest des États-Unis. Les Nord-Coréens affirment qu’ils sont capables de miniaturis­er leur bombe H et de la mettre sur un missile. C’est pas encore prouvé mais il y a des chances qu’ils puissent le faire. Ils maîtrisent aussi la technologi­e au plutonium et à l’uranium.

Donc ça peut vraiment déraper ? Il suffit que la Corée du Nord fasse un essai de tir balistique, par exemple, au dessus du Japon, que le missile explose en vol parce qu’il ne fonctionne pas, que des débris retombent sur le Japon, que le Japon dégaine parce qu’il se sent attaqué et ça s’enflamme. Si la Corée du Nord est attaquée, la Chine la protégera car les deux pays sont liés par un accord de défense. Il ne faut pas oublier la Russie toute proche, non plus! On arrive vite à un conflit mondial. Trump et Kim Jong-un jouent avec le feu et les nerfs! Les dernières déclaratio­ns de Donald Trump aux Nations Unies menaçant de détruire totalement la Corée du Nord, ou la réponse de Kim Jong-un évoquant la possibilit­é de faire exploser une bombe H dans le Pacifique font craindre que la crise ne prenne un tournant dramatique. Les sanctions très dures décrétées par les États-Unis le  septembre vont étrangler la Corée du Nord. La solution doit passer par le dialogue. Sinon, on n’est pas à l’abri d’un dérapage cataclysmi­que.

Dire que Kim Jong-un n’est pas fou ne signifie pas qu’il n’est pas dangereux ”

* Livre coécrit avec Dorian Malovic et paru aux éditions Tallandier.

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