Catalogne : « oui », et après ?
Et maintenant ? Dans le bruit et la fureur, la Catalogne a voté. Et le « sí » l’a emporté, à une majorité d’autant plus écrasante (%) que les anti-séparatistes ont boycotté les urnes, récusant le principe même d’un référendum unilatéral, organisé en violation de la Constitution espagnole. Rien n’est réglé pour autant. Car la lancinante question catalane ne peut pas plus être réglée par l’arithmétique d’une consultation au fondement bancal, et qui n’offrait pas les garanties élémentaires de fiabilité, que par le juridisme musclé du pouvoir central, arc-bouté sur une constitution espagnole dont les dirigeants catalans, justement, ont décidé de s’affranchir. Au lendemain de ce qui pourrait rester comme une journée des dupes, les protagonistes peuvent bien bomber le torse et convoquer les grands mots, l’histoire n’a pas encore désigné le vainqueur du bras de fer entre Barcelone et Madrid. S’il y a un vainqueur… Pour le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, le referendum n’a pas eu lieu. Nul et non avenu. Juridiquement, le point de vue se défend. Peut-être aurait-il dû s’en tenir là depuis le début, et traiter le référendum par le mépris, au lieu de chercher à l’empêcher par la force, sans y parvenir. Politiquement, cette ligne de défense est plus difficile à tenir. Car sous le regard effaré de l’Europe, il s’est bien passé quelque chose ce er octobre. Il y aura un avant et un après. Quant au président de la Generalitat de Catalogne, Carles Puigdemont, il peut considérer qu’il a gagné son pari, aidé en cela par Rajoy qui, par son manque de sens politique et son autoritarisme brouillon, s’est révélé le meilleur agent électoral du « oui ». Mais après ? Puigdemont osera-t-il franchir le Rubicon, c’est-à-dire déclarer unilatéralement l’indépendance de la Catalogne ? Tout l’y pousse. Son jusqu’auboutisme, la pression de l’aile la plus radicale de sa coalition hétéroclite. Et la feuille de route fixée le septembre par le Parlement de Catalogne. Si tel est le cas, la sécession pourrait être prononcée dès demain. Ce serait un séisme. Un saut dans l’inconnu. Un fait unique dans les annales de l’Europe contemporaine. Un coup de force contre les institutions d’une nation démocratique. Le peuple a parlé, diront les sécessionnistes, cela s’appelle la démocratie. Pas si simple. Car en dépit de la montée de l’indépendantisme, promu idéologie officielle de la Generalitat, qui a mis tous ses moyens au service du « oui », en dépit d’une campagne à sens unique où les partisans de l’Espagne n’ont quasiment pas eu voix au chapitre, en dépit de l’activisme virulent des séparatistes auprès des journalistes et sur les réseaux sociaux, en dépit de la balourdise de Rajoy, qui a cru régler un problème politique par des mesures de police, en dépit des violences policières qui ont mobilisé le camp du « oui », les résultats du er octobre montrent que la société catalane dans sa globalité n’est pas prête à faire le saut. Avec ,% seulement de participation, deux millions d’électeurs (sur , millions d’inscrits) ont voté « oui » qui, parfois, était plus un « non » à l’intransigeance de Rajoy qu’un « oui » à la sécession. Cela relativise pas mal les %. De façon quasi constante, les sondages indiquent que les partisans de l’indépendance (autour de %) sont de peu minoritaires. Un referendum est une machine à simplifier. La réalité catalane est plus complexe, l’opinion plus partagée, hésitante, composite (tous les habitants de la Catalogne ne sont pas catalans) que ne le laissent croire les démonstrations de rue et autres casserolades dans lesquelles les nationalistes sont passés maîtres. Si actifs et déterminés soient-ils, cela ne justifie pas de passer par pertes et profits les sentiments et les inquiétudes de la majorité silencieuse. Et accessoirement ceux du peuple espagnol, qui a son mot à dire dans cette histoire. C’est cela aussi, la démocratie.
« Ce serait un séisme. Un saut dans l’inconnu. Un fait unique dans les annales de l’Europe contemporaine.»