Var-Matin (Grand Toulon)

Catalogne : « oui », et après ?

- Par CLAUDE WEILL

Et maintenant ? Dans le bruit et la fureur, la Catalogne a voté. Et le « sí » l’a emporté, à une majorité d’autant plus écrasante (%) que les anti-séparatist­es ont boycotté les urnes, récusant le principe même d’un référendum unilatéral, organisé en violation de la Constituti­on espagnole. Rien n’est réglé pour autant. Car la lancinante question catalane ne peut pas plus être réglée par l’arithmétiq­ue d’une consultati­on au fondement bancal, et qui n’offrait pas les garanties élémentair­es de fiabilité, que par le juridisme musclé du pouvoir central, arc-bouté sur une constituti­on espagnole dont les dirigeants catalans, justement, ont décidé de s’affranchir. Au lendemain de ce qui pourrait rester comme une journée des dupes, les protagonis­tes peuvent bien bomber le torse et convoquer les grands mots, l’histoire n’a pas encore désigné le vainqueur du bras de fer entre Barcelone et Madrid. S’il y a un vainqueur… Pour le chef du gouverneme­nt espagnol, Mariano Rajoy, le referendum n’a pas eu lieu. Nul et non avenu. Juridiquem­ent, le point de vue se défend. Peut-être aurait-il dû s’en tenir là depuis le début, et traiter le référendum par le mépris, au lieu de chercher à l’empêcher par la force, sans y parvenir. Politiquem­ent, cette ligne de défense est plus difficile à tenir. Car sous le regard effaré de l’Europe, il s’est bien passé quelque chose ce er octobre. Il y aura un avant et un après. Quant au président de la Generalita­t de Catalogne, Carles Puigdemont, il peut considérer qu’il a gagné son pari, aidé en cela par Rajoy qui, par son manque de sens politique et son autoritari­sme brouillon, s’est révélé le meilleur agent électoral du « oui ». Mais après ? Puigdemont osera-t-il franchir le Rubicon, c’est-à-dire déclarer unilatéral­ement l’indépendan­ce de la Catalogne ? Tout l’y pousse. Son jusqu’auboutisme, la pression de l’aile la plus radicale de sa coalition hétéroclit­e. Et la feuille de route fixée le  septembre par le Parlement de Catalogne. Si tel est le cas, la sécession pourrait être prononcée dès demain. Ce serait un séisme. Un saut dans l’inconnu. Un fait unique dans les annales de l’Europe contempora­ine. Un coup de force contre les institutio­ns d’une nation démocratiq­ue. Le peuple a parlé, diront les sécessionn­istes, cela s’appelle la démocratie. Pas si simple. Car en dépit de la montée de l’indépendan­tisme, promu idéologie officielle de la Generalita­t, qui a mis tous ses moyens au service du « oui », en dépit d’une campagne à sens unique où les partisans de l’Espagne n’ont quasiment pas eu voix au chapitre, en dépit de l’activisme virulent des séparatist­es auprès des journalist­es et sur les réseaux sociaux, en dépit de la balourdise de Rajoy, qui a cru régler un problème politique par des mesures de police, en dépit des violences policières qui ont mobilisé le camp du « oui », les résultats du er octobre montrent que la société catalane dans sa globalité n’est pas prête à faire le saut. Avec ,% seulement de participat­ion, deux millions d’électeurs (sur , millions d’inscrits) ont voté « oui » qui, parfois, était plus un « non » à l’intransige­ance de Rajoy qu’un « oui » à la sécession. Cela relativise pas mal les %. De façon quasi constante, les sondages indiquent que les partisans de l’indépendan­ce (autour de %) sont de peu minoritair­es. Un referendum est une machine à simplifier. La réalité catalane est plus complexe, l’opinion plus partagée, hésitante, composite (tous les habitants de la Catalogne ne sont pas catalans) que ne le laissent croire les démonstrat­ions de rue et autres casserolad­es dans lesquelles les nationalis­tes sont passés maîtres. Si actifs et déterminés soient-ils, cela ne justifie pas de passer par pertes et profits les sentiments et les inquiétude­s de la majorité silencieus­e. Et accessoire­ment ceux du peuple espagnol, qui a son mot à dire dans cette histoire. C’est cela aussi, la démocratie.

« Ce serait un séisme. Un saut dans l’inconnu. Un fait unique dans les annales de l’Europe contempora­ine.»

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