Var-Matin (Grand Toulon)

À l’audience défilent les morts sur la route

- SO. B.

Comme si le drame était plus grand que la salle. Si lourd qu’il en déborde. Ainsi est allé le cours de l’audience, hier après-midi au tribunal correction­nel de Toulon. Deux homicides involontai­res étaient jugés, pour deux accidents mortels. Ils ont en commun de voir les familles de victimes plier sous la douleur, face à des prévenus alourdis d’une faute incontesta­ble. Aux uns, la culpabilit­é et la vie sauve. Aux autres, le deuil et les orphelins. Six enfants privés de leur père, rien qu’hier. « Nous, on n’est plus rien. Notre famille est déchiqueté­e, anéantie »,a livré la soeur d’une victime, visage en larmes tourné vers un prévenu qui balbutie des excuses. Excuses repoussées.

« Vous êtes un meurtrier en puissance »

Premier à s’avancer à la barre, Sébastien L., 35 ans. Depuis l’accident du 8 juillet 2016 à Hyères, il a changé de métier. Ce jour-là, il revenait de sa tournée de livraison, commencée à 5 heures du matin. Son travail ne l’a pas empêché, la veille, de fumer des joints et de consommer de la cocaïne dans la soirée – «dans l’euphorie d’un match de l’équipe de France ». « Vous vous êtes levés à 4 heures du matin. Donc quelques heures avant de prendre le volant, vous vous êtes drogué, pointe la présidente du tribunal, Corinne Gilis. Quand vous prenez le camion, vous êtes – je suis désolée de le dire – un meurtrier en puissance ». Sur les circonstan­ces du choc frontal, l’audience n’a pas permis de trancher entre l’endormisse­ment, ou la perte de contrôle à cause d’une vitesse trop élevée, « 84à 90 km/h sur une route limitée à 70 ».

Il le revit, chaque nuit

Le camion de livraison a quitté sa voie. S’est déporté vers une Mercedes qui roulait en sens inverse, avec trois personnes à bord. Pour les parties civiles, ce n’est «malheureus­ement pas un banal accident, vu la multiplica­tion des infraction­s ». Grièvement blessé, un passager revit encore chaque nuit « le camion qui lui arrive dessus ». Le procureur souligne la « grosse erreur », d’avoir « consommé de l’alcool, des stupéfiant­s, peu dormi, pris le volant, roulé trop vite. Je crois qu’il en a pris conscience ». La conscience, oui elle est là assure la défense, par la voix de Me Hervé Lefort. « Il peut se projeter, il est père de trois enfants. » Exactement comme l’était la victime, dont un bébé est né après son décès sur la route. « Postérieur­ement à l’accident, [le livreur] a fait une tentative de suicide. Il est toujours suivi psychologi­quement. Il devra vivre avec ça.» La peine aménageabl­e (trois ans dont dix-huit mois avec sursis) requise par le procureur a été dépassée par le tribunal. «Trente mois de prison et cinq ans d’interdicti­on de passer le permis de conduire. »

« Une bombe qui explosait »

À sa suite, c’est une dame de 88 ans qui s’avance. On tire une chaise devant la barre, pour qu’elle réponde assise. Françoise C. rentrait chez elle, après avoir fait ses courses. Elle aurait tourné trop tard vers le chemin de son domicile, coupant une ligne blanche. Elle assure qu’elle a regardé. « Je n’ai rien vu, j’ai estimé que la route était libre. » Mais, ce 25 février 2016 à PugetVille, elle a «entendu un bruit énorme. Une bombe qui explosait sur [elle].» Un motard venait de percuter sa voiture. « Monter en l’air et s’écraser face contre le bitume », selon un témoin. Le procureur Patrick de Firmas relate l’annonce à la famille. Les enfants qui venaient de voir leur père quitter la maison – «brutalité extrême ».« Le motard n’a rien pu faire.» De la conductric­e : «À 87 ans, les réflexes s’émoussent. » Pour les trois enfants mineurs, Me Ouahab Bourekhoum rappelle qu’il « n’y aura plus jamais de papa pour les moments difficiles. Plus jamais de papa pour les moments heureux ». « La défaillanc­e, l’inattentio­n. On n’est jamais à l’abri d’un défaut d’attention», plaide Me Pascale ColozzoRit­ondale, en défense d’une « femme qui n’a jamais eu d’accident ». Mais là encore, le tribunal va au-delà des réquisitio­ns (deux ans avec sursis). Trente mois de prison avec sursis sont prononcés, en plus de l’annulation de permis pour trois ans. L’épreuve de l’audience est passée. Sébastien L. fera possibleme­nt appel. Pas Françoise C. Chacun repart avec son fardeau. Forcement inégal.

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(Photo Laurent Martinat) Le  juillet , le livreur s’est-il endormi au volant ?

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