Var-Matin (Grand Toulon)

« Che Guevara, le gêneur universel… » PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD (ALP)

Passionné par Guevara et proche de sa famille, le journalist­e Jean Cormier livre une enquête fouillée pour mieux cerner la personnali­té d’Ernesto Guevara

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Cinquante ans après la disparitio­n d’Ernesto Guevara, tué dans le maquis bolivien, Jean Cormier a écrit un ouvrage (1) sur la vie et les motivation­s de l’emblématiq­ue « Che ».

Que pouvez-vous dire que l’on ne sache pas sur Guevara ? Je ne suis pas un homme qui cherche l’exceptionn­el, mais je suis un journalist­e qui fait son boulot sérieuseme­nt, ce qui m’a amené à enquêter longuement et profondéme­nt sur le parcours d’Ernesto Guevara. Cela me choquait d’entendre qu’il avait du sang sur les mains, que c’était un assassin, tout ce genre de choses… Je suis donc reparti à Cuba et j’ai rencontré beaucoup de témoins dont tous ceux qui l’on connu quand il n’était pas encore surnommé le Che (2). Ernesto Guevara était le patron de la Cabana (3), il savait bien évidemment qu’il y avait des exécutions mais ce n’est pas lui qui choisissai­t les condamnés et qui appuyait sur la gâchette.

C’est une démarche de réhabilita­tion de votre part ? Non, il s’agit de savoir pour moi qui était réellement le Che. Je suis un maniaque de la vérité. Je réponds de fait à ceux qui attaquent le Che sous cet angle qu’il avait certes du sang sur les mains, mais que c’était celui des blessés. Il faut tout de même savoir qu’à la fin des combats le Che soignait ses blessés puis traversait les lignes pour soigner les gars d’en face.

Ce qui le caractéris­e d’abord, c’est son engagement pour la médecine ? Difficile de le caractéris­er… Fidel disait de lui qu’il était un « multifacet­ico », un multifacet­te. C’était bien sûr un médecin, mais c’était aussi un guérillero, un énorme lecteur, un grand sportif, un banquier, un très bon joueur d’échecs – il a joué contre Fischer –. Il avait la tête bien remplie. Remplie de quoi ? C’est à l’interpréta­tion de chacun. Compte tenu de l’asthme terrible qui le frappait depuis l’enfance, il a toujours considéré qu’il faisait du rab sur terre.

Le militant Guevarra était persuadé qu’il y avait un autre chemin socialiste que celui de l’URSS ?

La première fois qu’il est allé à Moscou, c’était dans un esprit « Alice au pays des merveilles ». Plus il y est allé, plus il s’est aperçu de la réalité. D’où son discours prononcé à Alger, en , où il a totalement matraqué le régime soviétique. Il a été le premier à traiter les Russes d’impérialis­tes à la face du monde, et leur a donné un cours de marxisme. Inutile de dire que les autres ont vu doublement rouge ! A son retour à la Havane, Fidel Castro lui a demandé des explicatio­ns…

Guevara a-t-il été déçu par l’abnégation de Castro vis-à-vis de l’URSS ? Il a défendu Fidel jusqu’au bout, mais Castro avait besoin des Soviétique­s. Ernesto pensait mettre le bordel partout sur terre au nom d’un impérialis­me américain écrasant, mais Fidel devait s’occuper à l’époque des  millions de Cubains et les protéger. Il était pragmatiqu­e. Il faut être lucide, sans Fidel il n’y aurait jamais eu de Che, alors que sans le Che, il y aurait eu Fidel...

Guevara est devenu gênant pour Castro ? Castro et Guevara étaient frères de sens mais le patron, c’était Fidel. Bien sûr, Ernesto l’a dérangé dans ses prises de position et Moscou a clairement demandé à Castro de calmer son ami. Comme il n’était pas calmable, il l’a envoyé au Congo, dans une mangrove politique, autrement dit « unpiègeà con ». Les Africains n’étaient pas du tout prêts pour faire une guérilla.

Et Guevara revient en Amérique du sud… Quand le Che est arrivé en Bolivie, le secrétaire général du parti communiste bolivien, Monjé, est convoqué au Kremlin qui lui donne l’ordre de ne surtout pas aider Guevara. Les Russes estimaient que ce n’était pas le moment opportun pour mener la lutte et surtout, que ce n’était pas à Guevara de le faire. Sur le chemin du retour, Monje s’est arrêté à la Havane pour informer Castro de la position des Russes. Fidel à su avant le Che qu’il n’aurait aucune aide. Mais il ne pouvait plus rien pour lui, il ne pouvait pas lui envoyer des hommes… Monje a informé Guevara de cette décision le er janvier . Le Che comprend que c’est fini et devient irascible. Il reste parce que c’est un jusqu’auboutiste. En , il avait écrit à sa mère qu’il ne finirait pas comme le Christ cloué sur une croix, mais debout derrière un rocher... Soyons clairs, les Russes ont demandé de le calmer, pas de l’exécuter. Ce qui n’est pas le cas des Américains.

Le Che était finalement plus idéaliste que révolution­naire ? Je crois que les deux vont de pair. Comme l’écrit Edgard Morin, un vrai communiste doit être capable de ressentir la gifle reçue par quiconque sur terre. Le Che, c’était partout, tout le temps. Il était devenu le dérangeur numéro un , le gêneur universel. Le frère d’Ernesto, qui est encore en vie, me parle toujours du Che en disant « mon fou de frangin »… (1)« CheGuev ara, le temps des révélation­s », Editions du Rocher 534 pages 24.90 euros (2) Che (que l’on peut traduire par mec) est un tic de langage argentin qui consiste à terminer ses phrases par ce mot. Guevara en abusait, d’où ce surnom donné par les Cubains. (3) La forteresse de la Cabana, servit de prison après la prise du pouvoir de la révolution cubaine. Che Guevara qui y installe son quartier général le 2 janvier 1959.

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(Photo ALP) Jean Cormier.

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