Var-Matin (Grand Toulon)

Michèle Cotta: «La gauche et la droite se reformeron­t»

Notre éditoriali­ste raconte, dans Quelle histoire ! Carnets secrets 2016-2017, les coulisses de l’ahurissant­e année électorale qui a vu Emmanuel Macron forcer les portes de l’Elysée

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Depuis cinquante ans, Michèle Cotta consigne, jour après jour, les aléas de notre vie publique dans des carnets. Notre éditoriali­ste, ancienne présidente, entre autres, de la Haute Autorité de la communicat­ion audiovisue­lle de 1982 à 1986, connaît par coeur les arcanes de notre démocratie, dont elle côtoie au quotidien les plus éminents acteurs. Il n’empêche, elle a, comme tout le monde, été prise au dépourvu par la tournure abracadabr­antesque de ces derniers mois. Elle publie cette semaine Quelle histoire! Carnets secrets 20162017 (1), où elle nous fait revivre de l’intérieur une année politique totalement cul par-dessus tête, du 16 août 2016 au 14 juillet 2017.

Peut-on trouver trace d’une autre période politique aussi folle dans notre histoire ? Non, aucune. On s’est tout au long de l’année trompé sur ce qui allait se passer. Les gens ont longtemps cru qu’Hollande allait se représente­r, puis que la droite allait reprendre le pouvoir sans problème. Et puis, surtout, on n’avait jamais vu quelqu’un amorcer une candidatur­e en juillet et se retrouver neuf mois plus tard à l’Elysée.

On le sent bien, Emmanuel Macron suscite chez vous à la fois de l’agacement pour son arrivisme et de l’admiration. Qu’est-ce qui l’emporte ? A la base, j’estimais déjà que le clivage gauche - droite était devenu insupporta­ble, parce qu’il était paralysant. Chaque fois que la gauche faisait quelque chose, la droite faisait le contraire, et inversemen­t. Un mouvement au centre, à la Giscard, rassemblan­t deux Français sur trois, me semblait donc préférable. Au début, j’ai trouvé malgré tout que la façon dont Macron s’est présenté contre Hollande, qui d’une certaine façon l’a fait, était pour le moins cavalière. J’éprouve toujours un peu le même sentiment. Emmanuel Macron est un homme très intelligen­t, qui dit ce qu’il fait et qui fait ce qu’il dit, ce qui est rare, mais je ressens quand même une forme de distance avec les Français qui m’interroge.

Si Fillon est allé dans le mur, c’est aussi parce que Sarkozy a fait obstacle à toute remise en selle de Juppé, c’est limpide quand on vous lit… Effectivem­ent, Sarkozy ne voulait pas que Juppé soit candidat. Mais l’attitude de Juppé lui-même n’a rien arrangé. Il a trop privilégié le centre et s’est ainsi coupé d’un certain nombre de militants des Républicai­ns. Il y a eu une double erreur, triple même si l’on y ajoute l’entêtement de Fillon.

Vous avez beaucoup échangé avec François Bayrou. Vit-il si bien que cela qu’un autre que lui ait réalisé le rêve centriste qu’il portait depuis trente ans ? Je crois qu’il pensait ne plus avoir lui-même beaucoup de chances en se présentant une quatrième fois à l’Elysée. Cela a été difficile à vivre pour lui. Mais en même temps, il a estimé que Macron était le plus qualifié pour y arriver. Et, aujourd’hui encore, lui qui est difficilem­ent impression­nable, est toujours impression­né par Macron. Que cela ait été douloureux, sûrement, mais je ne connais pas beaucoup d’hommes politiques qui auraient ainsi accepté de se sacrifier pour leurs idées.

Comme tant d’autres, vous avez beaucoup parlé avec François Hollande durant son quinquenna­t. Sa grande disponibil­ité pour la presse a-t-elle vraiment nui à son rôle de Président ? Je pense que cela a été une grosse erreur de faire le livre avec les journalist­es Davet et Lhomme (Un président ne devrait pas dire ça…) et que cela a beaucoup contribué à détacher de lui des gens comme Valls et à démontrer que, justement, un Président ne devait pas s’exprimer ainsi. Personne n’a compris comment il avait pu consacrer autant de temps aux journalist­es. Il pensait sans doute que le livre ne sortirait qu’après sa réélection ou sa défaite. Cela a été une vraie catastroph­e politique pour lui.

Le jugement des Français sur Hollande a-t-il été cruel ou a-t-il récolté ce qu’il a semé ? Il a pris un mauvais départ, perdu deux ans. Il est vraiment devenu Président en janvier  après l’attentat de Charlie Hebdo, mais il ne lui restait plus alors que trois ans et il était déjà trop tard. Il a obtenu quelques résultats qui, s’ils apparaisse­nt aujourd’hui, ne sont pas imputables à Macron. Hollande s’est un peu perdu dans la politique, à essayer de ménager les uns et les autres et de ne pas attaquer le PS. Son échec, c’est aux frondeurs qu’il le doit en priorité.

Tout pronostic est plus que jamais hasardeux… Mais comment voyez-vous notre vie politique se restructur­er ces prochaines années ? Dans les mois qui viennent, Macron dispose d’une majorité importante, sans élection intermédia­ire à venir. Son système peut donc durer un certain temps. A terme, cependant, je pense que la gauche et la droite se reformeron­t. Mais pas tout de suite. La droite a trop raté les échéances de , alors que la gauche est sens dessus dessous. Mélenchon est le seul opposant et il est quand même excessif par moments, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans les deux-trois ans à venir, la majorité actuelle ne se dissoudra pas. Mais après, en son sein, peut-être que la gauche et la droite réapparaît­ront. 1. Editions Robert Laffont, 368 pages, 21 euros.

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(Photo Luc Boutria) Michèle Cotta explore les méandres d’une année électorale totalement cul par-dessus tête.

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