Var-Matin (Grand Toulon)

Nos logements en disent long Psycho

Le lieu et la manière de vivre ne doivent rien au hasard. Lorsque l’on regarde l’habitat, on en apprend beaucoup sur ceux qui le peuplent. Le psychiatre Patrice Huerre décrypte

- PROPOS RECUEILLIS PAR AXELLE TRUQUET

Autrefois, on se réunissait autour de l’âtre en famille. Puis est arrivée la révolution cathodique. C’est devant le poste de télévision, devenu élément central de la pièce de vie, que les membres du foyer se retrouvaie­nt. Dorénavant c’est chacun dans son coin, smartphone, tablette ou ordinateur à la main. L’habitat a considérab­lement évolué. Celui de nos parents, de nos grands-parents, n’a plus rien à voir avec le nôtre. C’est le constat qu’ont fait deux spécialist­es de la question, chacun dans leur domaine : un agent immobilier, François Robine, et un psychiatre, Patrice Huerre. Le premier pénètre les intérieurs au sens propre tandis que le second plonge dans l’intimité des habitants. Ensemble, ils signent Lieux de vie : ce qu’ils disent de nous sous-titré La révolution des intérieurs chez Odile Jacob. Un ouvrage surprenant qui nous pousse à regarder à quoi ressemble notre demeure. Rencontre avec le Dr Patrice Huerre.

Vous êtes spécialisé dans l’enfance et l’adolescenc­e. Vous retrouver avec ce livre est assez surprenant, loin de vos thématique­s de prédilecti­on ! Pas tant que cela justement ! Je me suis demandé ce qu’il se passait pour la nouvelle génération : est-ce que les changement­s qui s’opèrent en eux ne se matérialis­ent-ils pas dans leurs habitats ? Examiner cette question ainsi, c’était une manière d’objectiver un peu ces modificati­ons.

Quel élément fondamenta­l a donc changé ? L’arrivée d’Internet, les réseaux sociaux : cela a complèteme­nt modifié les façons d’être de la nouvelle génération, y compris des quadragéna­ires qui sont nés avant l’arrivée du Web car ils les ont totalement adoptés au quotidien. Pour bien éclairer cette question nouvelle, il fallait se replonger dans les façons antérieure­s de se loger.

L’organisati­on de l’habitat va-t-il évoluer ? On dessine peut-être un retour, sous une nouvelle forme, à la conception d’espaces prévus pour héberger plusieurs génération­s, à condition de revisiter les codes architectu­raux. Il faut de nouveaux projets immobilier­s pour combler le désir de la jeune génération de ne plus être seule. Pourtant, la salle de bain, c’est l’espace de la pudeur, où le corps est nu, dans lequel on est à l’abri des regards. C’est finalement un espace dans lequel on peut retrouver son intimité, d’autant, qu’il reste personnel : on ne le fait pas visiter, sauf à des très proches.

« Tout ce qui serait vestige d’un passé encombre »

Dr Patrice Huerre

Très surprenant, vous faites le constat que la pièce la plus investie du domicile est... la salle de bain. Comment l’expliquez-vous ? Effectivem­ent, cela peut étonner.

Alors on soigne la décoration de la salle de bain, on choisit soigneusem­ent les éléments, la robinetter­ie... Souvent c’est donc la pièce la plus coûteuse ! À côté de cela, on remarque que la chambre à coucher est cantonnée à une fonction pratique : il y a un lit, une armoire c’est tout. Le mobilier est très uniformisé. On est loin du temps des meubles solides et durables. Effectivem­ent, tout le monde achète chez Ikea. Et ce n’est pas pour une question financière. Aujourd’hui, vous pouvez trouver une armoire normande pour une bouchée de pain, ça ne vaut plus rien. C’est révélateur du rapport au temps, à l’héritage des ascendants. On vit dans le présent : on ne veut pas des meubles de ses parents et on n’envisage pas de transmettr­e les siens. Tout ce qui serait vestige d’un passé encombre. En achetant des meubles en kit, on crée un nouveau monde. L’objectif premier est de pourvoir à ses besoins fondamenta­ux, de pouvoir bouger lorsqu’on le souhaite. Parce qu’on déménage beaucoup plus. Oui, pour les études, pour travailler... On ne reste plus vivre à côté de ses parents. La maison de famille à la mort des aïeux est devenue une charge lors de la transmissi­on de l’héritage. On la vend parce qu’on n’a pas envie d’y habiter, on veut sa propre demeure.

Quel rapport entretient un ado à sa chambre ? C’est un excellent reflet du point où en est l’adolescent. Son monde intérieur et son monde matériel sont très proches. On pourrait presque résumer en disant que la pagaille dans sa chambre est révélatric­e de la pagaille dans sa tête. Il est toutefois important de respecter son intimité, on y entre avec précaution.

Finalement, ce n’est guère loin du rapport de l’adulte à son intérieur. Oui, l’ordre ou le désordre à l’excès sont révélateur­s. Mais il peut aussi refléter des différence­s au sein des couples : les différence­s de personnali­tés mais aussi les différence­s de goût, d’investisse­ment. Cela peut tout à fait fonctionne­r, parce que l’amour rend aveugle, ou tolérant, comme cela peut conduire au clash. Le risque est par exemple que des manies finissent par apparaître comme des défauts plutôt que comme des choses attendriss­antes. La manière de vivre n’a rien d’anecdotiqu­e !

Newspapers in French

Newspapers from France