Var-Matin (Grand Toulon)

A. Goscinny: «Je veille sur l’oeuvre de mon père»

René Goscinny, scénariste d’Astérix, Lucky Luke ou encore Iznogoud nous quittait il y a 40 ans. À l’occasion de la sortie en niçois du Petit Nicolas, la fille de l’auteur nous fait partager ses souvenirs

- par AMÉLIE MAURETTE et CHRISTINE RINAUDO

Alors que l’on commémore en ce moment les 40 ans de la disparitio­n de René Goscinny à travers différents événements – comme une exposition à la Cinémathèq­ue française, une autre au musée d’Art et d’histoire du judaïsme, à Paris, ou la publicatio­n des premières planches du Petit Nicolas sous forme de bande dessinée – il en est un qui touche un peu plus sa fille, la romancière Anne Goscinny. Aujourd’hui sort Le Petit Nicolas en niçois, dont elle signe la préface.

Vous avez rédigé une jolie préface dans laquelle vous rendez hommage à vos parents. C’est particulie­r à ce livre ? Ah oui ! Je n’ai pas de lien avec toutes les régions de France ! Mais j’ai un lien très fort avec Nice. Je voulais offrir à ce Petit Nicolas en niçois une préface pour l’accompagne­r.

Cette préface est un texte très intime… Oui. Je trouvais que, étant donné nos liens avec cette ville et le fait que de tous les personnage­s créés par mon père, le petit Nicolas était le préféré de ma mère, ce livre méritait d’être un peu différent. C’était ma façon à moi de m’inscrire dans les enfances conjuguées de mes parents. Il était important de rappeler que Nice est la ville où ma mère a été heureuse.

C’est quoi Nice, pour vous ? Ma mère y est née en . Son père était niçois – sa famille était originaire de Levens – et sa mère, belge. Il n’était pas question pour lui d’aller vivre en Belgique ! C’est donc sa femme qui a quitté le Plat pays pour la Méditerran­ée. Ma mère vient au monde sept ans après leur mariage. Elle était vraiment niçoise. Elle n’est partie de cette ville que pour faire des études à Paris. Elle rencontre mon père lors d’une croisière et ils ne se quitteront plus. Mais je pense qu’elle ne s’est jamais remise d’avoir quitté sa ville natale. Elle aimait Nice par-dessus tout. Elle me racontait son adolescenc­e enchantée, les baignades avec les copains à la sortie du lycée… Pour nous, Parisiens, c’est un conte de fées !

Et votre père a épousé cette ville ? Il a été adopté par les amis niçois de ma mère et ces amitiés naissantes sont vite devenues profondes et sincères. Ils ont acheté un appartemen­t à Cannes, la ville du Festival que mon père adorait. À Cannes, il retrouvait ses copains parisiens, et il se rapprochai­t des amis de ma mère. C’était l’accord parfait.

Vous, quel lien gardez-vous ? Un lien un peu particulie­r, qui n’est pas très gai. Mes deux parents sont enterrés à Nice. Le dernier Noël de ma mère, il y a vingt-quatre ans, nous l’avons passé là, au Negresco… J’en ai fait un livre d’ailleurs. Venir à Nice n’est jamais anodin pour moi. Je ne dis pas que c’est triste, car le temps adoucit les plus grands chagrins mais… c’est une ville ambiguë à mon coeur. Nice me séduit et m’impression­ne. Boire un verre cours Saleya pour nous, Parisiens, c’est le dépaysemen­t garanti !

Comment fait-on vivre un tel patrimoine, celui d’un des plus grands scénariste­s français ? C’est une oeuvre qui a été reprise et poursuivie. Et ceci implique en ce qui me concerne, un gigantesqu­e travail. Je veille sur elle, je l’accompagne. Je pense aux adaptation­s du Petit Nicolas au cinéma par exemple, là, je suis présente à toutes les étapes ! Du synopsis au casting. Je ne regarde pas cette oeuvre se développer de façon passive. J’interviens toujours : soit parce qu’on me le demande, soit parce que, justement, on ne me le demande pas et là, je redouble de vigilance ! Parmi tous ses personnage­s, Astérix, Lucky Luke, Iznogoud… Vous dîtes que le petit Nicolas est celui qui vous touche le plus ? On n’a pas tous été gaulois, cowboy ou calife mais on a tous été enfant. Dans cette enfance, qui semble universell­e, je me suis souvent dit, petite ou plus tard, que mon père me racontait son enfance à lui. Il n’a pas eu le temps de le faire dans la réalité. Aujourd’hui, ma seule façon de l’entendre, c’est de tourner les pages d’un livre…

Malgré les traduction­s, les années, les histoires de Goscinny restent universell­es et intergénér­ationnelle­s, pourquoi? C’est vrai qu’on peut se poser la question notamment pour Le Petit Nicolas. C’est un univers complèteme­nt déconnecté pour les enfants d’aujourd’hui. Il n’y a ni tablettes, ni jeux vidéos et pourtant, cela n’a aucune importance. Ce sont les valeurs au centre de l’oeuvre qui les touchent : les copains, la maîtresse, les parents, le terrain de jeux. Quand une oeuvre est d’une telle qualité, tant dans le scénario que le dessin, elle est indémodabl­e. Astérix par exemple, a été une espèce de socle pour plusieurs génération­s. Son texte d’introducti­on, «en  avant Jésus-Christ… » pourrait rassembler tous les Français, de toutes origines et tous milieux confondus. Un peu comme un poème de Prévert. Votre père vous a transmis le goût des histoires, vous venez d’ailleurs de sortir un nouveau roman (Sous tes baisers, Grasset). Quand vous est venue cette envie ? Il est mort quand j’avais  ans et j’ai réalisé très vite que, pour avoir accès à lui, il faudrait tourner les pages d’un livre. Puis je me suis dit que la réciproque à cette relation imaginaire et fantasmée devait être vraie. Il fallait donc que j’écrive. Dès ,  ans, j’ai commencé à écrire en me disant que, peut-être, son âme errait quelque part dans ma chambre, au-dessus de mon petit bureau… Et puis, j’en ai fait un métier.

Mais pas de livre pour enfants ? Eh bien, si ! Avec Catel, auteur de sublimes romans graphiques, nous sortirons en mars un premier recueil de nouvelles pour jeunes ados, chez Gallimard. Ce sont des nouvelles illustrées par elle et écrites par moi. On a eu envie d’inventer un personnage féminin, une jeune fille, et on a signé pour trois volumes, le premier s’appelle Le Monde de Lucrèce.

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 ?? (Photos Jean-Philippe Baltel et © Imav éditions/Goscinny-Sempé) ?? Anne Goscinny veille sur l’oeuvre de son père. À gauche, une photo d’elle, enfant, dans les bras de René Goscinny.
(Photos Jean-Philippe Baltel et © Imav éditions/Goscinny-Sempé) Anne Goscinny veille sur l’oeuvre de son père. À gauche, une photo d’elle, enfant, dans les bras de René Goscinny.
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