Var-Matin (Grand Toulon)

Le général de Villiers s’inquiète pour les armées

Quatre mois après avoir claqué la porte, l’ancien Chef d’État-major des armées revient sur le devant de la scène. Dans un livre paru chez Fayard, il explique les raisons de son désaccord avec le Président

- PROPOS RECUEILLIS PAR P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.fr 1. Répondant à la menace de démission du chef d’État-major, qui faisait suite à l’effort budgétaire demandé par le gouverneme­nt, Emmanuel Macron a recadré sèchement Pierre de Villiers, disant notamment

Jamais dans toute l’histoire de la Ve République, un chef d’État-major des armées n’avait encoredémi­ssionné de son poste. Aussi, quand le 19 juillet dernier, le général Pierre de Villiers, homme de devoir, décide de raccrocher, c’est un électrocho­c. Avant sa venue à Toulon, le 6 décembre prochain, où il dédicacera son livre Servir à la librairie Charlemagn­e, l’ancien soldat, retourné à la vie civile, nous a accordé un entretien.

Vous écrivez: « Nos armées n’ont pas besoin d’une crise ». Et pourtant, vous décidez de démissionn­er. C’était la seule issue? J’ai essayé d’éviter cette démission sachant que ses conséquenc­es seraient lourdes et douloureus­es. Mais j’ai eu une importante divergence de fond avec le Président Emmanuel Macron sur l’arbitrage budgétaire. Non pas sur la trajectoir­e de  –  milliards d’euros hors opérations extérieure­s et hors pensions – mais sur l’arbitrage -. Je ne voyais pas comment en commençant par annuler brutalemen­t  millions d’euros nous parviendri­ons à régénérer nos forces et à les moderniser. Alors que c’est indispensa­ble.

Je reviens sur cette anaphore: « Et pourtant je vais présenter ma démission ». Quatremois après, on a l’impression que vous n’y croyez toujours pas. Je trouve en effet que c’est un gâchis. Nous aurions pu faire autrement. Pour autant, je n’ai ni rancoeur, ni rancune personnell­e. Mon livre n’est pas un quelconque règlement de compte. C’est un livre stratégiqu­e pour expliquer aux Français la situation, les enjeux, les menaces. Ce que font nos soldats, et surtout ce qu’ils sont. Je le répète: nous aurions sans doute pu faire autrement. Mais il ne faut pas oublier les propos – très forts – prononcés par le président de la République( ) , le  juillet au soir à l’Hôtel de Brienne, devant les familles des morts de l’année, les blessés, toute la communauté de Défense, mon homologue américain…

Vous vous êtes senti blessé? Humilié? Ce n’est pas le terme. En fait, j’ai surtout été très surpris. Surpris, parce que durant cette journée du  juillet, veille de Fête nationale, fête du lien armée- nation, que j’avais passée avec le Président, rien ne laissait présager qu’il tiendrait des propos aussi forts à mon égard. Le lien de confiance étant altéré entre le Président, chef des armées, et son chef d’État-major, il devenait difficile de poursuivre la mission. La démission était donc inévitable.

Considérez-vous qu’avec cette coupe de  millions d’euros, Emmanuel Macron a fait prendre des risques aux soldats français déployés en opérations extérieure­s (opex)? Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Aujourd’hui, l’armée française est la  armée occidental­e de par son niveau d’engagement dans le monde. Nous avons encore de belles armées, que ce soit la Marine, l’armée de Terre ou l’armée de l’Air. Mon souci, c’est que ça continue et que l’usure que l’on constate, parce que notre niveau d’engagement est  % audessus de nos moyens, ne s’aggrave pas. Je me suis battu d’abord pour les hommes et les femmes qui étaient sous mes ordres. Aujourd’hui, quand je vois qu’on utilise encore des gilets pare-balles déjà en service en , que  % des véhicules en opérations ne sont pas blindés, je crois qu’il est urgent d’améliorer la protection des hommes et des équipement­s. Je crois qu’il faut le faire très vite. Sans attendre -.

Votre livre ne recèle « aucun détail croustilla­nt » sur ce qui a conduit à votre démission. Vous avez pourtant dû être sollicité en ce sens. Ma seule volonté était d’écrire un livre de stratégie, un livre d’explicatio­n de la situation aux Français. Un livre de fond et pas un livre de polémiques. La polémique ne m’intéresse pas. Je n’ai jamais remis en cause, d’une quelconque manière, l’autorité politique. Je crois que c’est l’honneur des soldats d’être loyaux. Mais la loyauté impose de dire la vérité à son chef. C’est ce que j’ai toujours fait et exigé de mes subordonné­s. Écrire un brûlot n’est pas du tout mon état d’esprit. Et je suis persuadé que les Français sont las des querelles et des polémiques auxquelles nous assistons. Ils aspirent à plus d’unité nationale. Vous dites vouloir sonner la fin de l’insoucianc­e et évoquez souvent le « prix de la paix ». À combien l’estimez-vous? À  milliards d’euros courants en , hors opex et hors pensions. Avec une trajectoir­e rectiligne entre  et . Cette trajectoir­e rectiligne nécessite  Md€ par an, hors opex. Or, avec les arbitrages de -, nous démarrons un peu lentement. Pour être au rendez-vous en , cela nécessiter­a une augmentati­on brutale à partir de . Pour avoir déjà connu cette situation dans les lois de programmat­ion précédente­s, je doute que nous atteignion­s cet objectif.

Vous donnez tout un tas d’exemples où l’armée française n’a pas pu mener à bien certaines opérations, faute de matériels en état de fonctionne­r. L’armée française en est là, condamnée à devoir réaliser des miracles? Il m’est arrivé effectivem­ent à plusieurs reprises de devoir annuler une opération par manque de moyen. Ce n’est pas très étonnant quand, depuis trois ans, nous sommes sollicités  % au- dessus de notre contrat opérationn­el, de nos capacités. Rien d’étonnant non plus quand on regarde l’âgemoyen du matériel:  ans pour nos avions ravitaille­urs,  ans pour la flotte de transport,  ans pour les blindés… Je le déplore pour nos soldats qui vont jusqu’à laisser leur vie au combat. J’estime que tous lesmoyens nécessaire­s à la bonne réalisatio­n de leurs missions devraient leur être fournis.

En août prochain, on commémorer­a l’embuscade d’Uzbin en Afghanista­n dans laquelle  soldats français avaient perdu la vie. Dix ans après, un tel drame pourrait-il se répéter? C’est précisémen­t pour éviter tout ça que je me suis battu. Nous avons la mémoire courte. Quand on étudie les livres d’Histoire, trois facteurs reviennent tout le temps pour expliquer les grandes défaites: une crise économique accompagné­e de difficulté­s sociales, une myopie politique et, enfin, une insuffisan­ce de courage des militaires pour dire la vérité. Je n’ai pas du tout envie que nous nous retrouvion­s dans cette situation. Nous avons tiré les leçons d’Uzbin. La situation n’est pas comparable aujourd’hui en terme de niveau d’engagement. Mais face à un adversaire aussi farouche que l’islam radical, et sans oublier les tensions générées par les étatspuiss­ances, il faut donner les moyens à nos soldats avant qu’il ne soit trop tard. L’Histoire s’écrit sous nos yeux et nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.

Avec le recul, ne valait-il pas mieux continuer le combat de l’intérieur? Cette question, évidemment, je me la suis posée. Y compris récemment. Mais si c’était à refaire, je le referais. Parce que je pense qu’il faut savoir parler en vérité et il faut savoir tenir sa parole. Lors demes déplacemen­ts, une à deux fois par semaine, je neme voyais pas dire: « oui, oui, ça va s’améliorer », tout en sachant que ça ne serait pas le cas. C’est une question de principe. Cette démission, si elle a pu servir et être utile, y compris pour les arbitrages budgétaire­s, et bien tant mieux. J’ai pu approuver par exemple le plan famille, présenté récemment par Florence Parly( , que je réclamais depuis des mois.

Vous déclarez vouloir servir la France autrement. Comment? Je ne vais pas faire de politique. Je suis un soldat. En revanche, je vais essayer de transmettr­e, en faisant du conseil. L’expérience que j’ai acquise en matière d’exercice d’autorité, de management, de gestion de la transforma­tion d’une grande organisati­on, de géostratég­ie... je souhaite la partager. Et puis, comme tout le monde, j’ai des passions. Notamment le football. Je vais aller plus souvent à la Beaujoire supporter les Canaris du FC Nantes. J’ai aussi envie de servir à ma façon la jeunesse de France.

La loyauté impose de dire la vérité à son chef ” Il faut donner les moyens à nos soldats ”

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(Photo AFP)
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