Var-Matin (Grand Toulon)

Marius Catalin, guitariste aux mains d’argent

Depuis cinq ans, les tubes des Beatles, de Tracy Chapman ou encore de Bob Dylan résonnent entre les piliers du parkingMay­ol. C’est ici que Marius a décidé de poser sa guitare. Rencontre

- SIMON FONTVIEILL­E sfontvieil­le@nicematin.fr

Lorsque l’onpapote quelques instants avec Marius Catalin Bercean, à la terrasse d’un bistrot de la place du Mûrier, le chanteur du parking Mayol est cash. Pas du genre à se cacher derrière la corde de sa guitare. Marius Catalin Bersean, casquette d’ouvrier grise vissée sur la tête et barbe jaunie par le tabac, depuis cinq ans, c’est un incontourn­able du parking Mayol. Et ça fait belle lurette qu’il n’a plus touché à l’acier d’une arme de samouraï ( lire ci- dessous). Aujourd’hui, dans le corridor situé entre le parking et le centre commercial, ses doigts virevolten­t sur sa gratte. Inondent les travées souterrain­es des notes folk et rock de Blowing in the wind, Let it be ou Imagine.

Dylan chez Dracula

« Tout le monde connaît les Beatles, Bob Dylan ou Tracy Chapman. Ces chansons parlent de la liberté du monde, de la compréhens­ion de soi », glisse, avec un inimitable accent est-européen, le natif de Brusov, au centre de la Roumanie, non loin des châteaux attribués au mythique Dracula. « Imagine ou Let it be, ce sont des messages pour l’humanité… Et moi, j’essaye de continuer ce message. » Au début, les vigiles ont bien essayé de le faire partir, « mais je suis assez têtu, je revenais au bout d’un quart d’heure », s’esclaffe le barde roumain. « Je suis juste là pour gagner quelques sous » , poursuit le chansonnie­r. « En plus, ici, c’est un endroit avec une bonne acoustique, je n’ai pas besoin de crier pour chanter ! » Et, à en croire le musicos, de cohabitati­on forcée, lui et les gardiens du parking ont fini par devenir potos. « Ils faisaient leur boulot, et moi le mien…, souffle Marius dans sa barbe. J’ai toujours été respectueu­x, je ne suis jamais arrivé bourré dans le parking… Maintenant, c’est devenu des amis. » Il faut dire que le Marius en a connu d’autres. Lorsqu’il voit le jour en 1972, enpleine Transylva- nie communiste, son frère aîné vient de mourir seulement quelques années auparavant. « Il était encore petit et gigotait dans les bras de ma mère, qui allait aux champs. Il est tombé sur la route et un camion l’a coupé en deux…, soupire le guitariste. Ma mère a tellement culpabilis­é qu’elle est devenue schizophrè­ne… » Trois ans plus tard, ses parents divorcent. Tandis que le petit Marius commence à user les bancs de l’école, il fait vibrer une vieille guitare appartenan­t à son oncle et découvre un livre de notes dans la bibliothèq­ue de la maison familiale. Avec un père contrebass­iste dans un groupe de jazz, un oncle chanteur dans un autre et une mère ayant essayé d’être soprano au théâtre, la fibre artistique se transmet de façon quasi-génétique chez les Catalin. « J’ai appris la guitare comme ça, note par note, avec mon oncle, puis en autodidact­e », raconte Marius. Il cantonne cependant la musique parmi ses hobbies, fait un lycée spécialisé dans les chemins de fer et devient mécanicien ferroviair­e. À la fin des années 1980, il part faire son service dans le sud de la

La vengeance, c’est stupide ”

Roumanie. Alors qu’il transporte des obus antiaérien­s, la dictature rouge de Nicolae Ceausescu vit ses dernières heures. Revenu dans sa ville de Brusov, la révolution éclate. Àson évocation, les souvenirs de Marius affluent ( lire cicontre). Ceausescu balayé, le Transylvan­ien achète une voiture -« une Dacia verte ! » - et se lance, joie du capitalism­e, dans une carrière de chauffeur de tacot. « La Roumanie, c’est comme New-York, tu fais un signe et tu as un taxi qui arrive! », s’amuse Marius. Le guitariste roule à la tombée du jour, trimballe les clients des hôtels dans la nuit roumaine. « Jusqu’au jour où un type m’emboutit le coffre! J’ai dû vendre la Dacia en pièces détachées… »

Grand- mère marseillai­se

C’est là que se déroule le drame qui va faire bifurquer la vie de Marius. Pour venger l’honneur de sa mère victime d’un prédateur sexuel, il le châtie au sabre. (lire ci-contre). Reconnu coupable, il est jeté en prison. L’homme qui a agressé sa mère aussi. Embastillé, Marius s’évade avec la lecture, apprend la maçonnerie, et intègre le choeur de la petite église de la prison, avec lequel il enregistre deux disques. « Un prêtre, le père Serban, m’a beaucoup aidé. Il m’a emmené dans un monde plus serein… Aujourd’hui, je regrette mon geste. La vengeance, c’est stupide. » Avec sa remise de peine, Marius sort au bout de cinq ans et demi. Mais Brusov est un petit monde, personne ne veut embaucher un ancien taulard. En 2006, avec un camarade et sa guitare, il grimpe dans un bus. « Ma grand-mère venait de Marseille… Je me suis dit, pourquoi pas la France ? » Il vadrouille entre Nice, Toulon, Marseille et Perpignan. Retape des maisons, joue dans les rues d’Antibes et à côté de la statue de Cuverville. L’an dernier, « j’ai sorti un CD avec le groupe Archaotic, de l’associatio­n Archaos ! » . Aujourd’hui, il prépare, dans sa caravane des Lices, un disque de chansons de son enfance. Les mains de Marius ne se consacrent désormais qu’à créer de l’or sonore.

 ?? (Photo : Frank Muller) ?? « On m’a dit plusieurs fois de me lancer dans The Voice... Parfois, j’y pense sérieuseme­nt, mais si j’y vais, c’est pour gagner ! » En attendant les shows télés, « les jeudis et vendredis, je joue parfois dans le bar ETC, à côté de l’église...
(Photo : Frank Muller) « On m’a dit plusieurs fois de me lancer dans The Voice... Parfois, j’y pense sérieuseme­nt, mais si j’y vais, c’est pour gagner ! » En attendant les shows télés, « les jeudis et vendredis, je joue parfois dans le bar ETC, à côté de l’église...

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