Var-Matin (Grand Toulon)

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- RECUEILLI PAR RÉGINE MEUNIER

La grande histoire vue de la mer

Elle est racontée par Christian Buchet, de l’Académie de Marine, ancien secrétaire général du Comité national du

Grenelle de la Mer. « Vous connaissez cette terrible phrase d’Eric Tabarly : ‘‘La mer pour les Français c’est ce qu’ils ont dans le dos lorsqu’ils regardent la plage’’ … Ce livre en précise les causes », résume-t-il. Mais il y a une happy end : « La mer est la chance de la France et grâce à la France, la chance de l’Europe… pour peu que nous ayons une politique maritime digne de ce nom. »

« Qui tient la mer, tient la terre », écrivez-vous. Que voulezvous dire ?

Vue de la mer, c’est toute l’Histoire du monde qui devient simple, intelligib­le et facile à retenir. Que ce soit, par exemple, la Guerre de Cent ans, la Première Guerre mondiale, la Seconde ou la Guerre Froide, le même constat s’impose. En effet, c’est toujours l’État ou l’Alliance qui tient les détroits et les flux maritimes qui l’emporte. Se placer dans une logique de flux, de connectivi­té, c’est surfer sur les vagues de la réussite; ce qu’ont parfaiteme­nt compris le président Poutine et le président chinois Xing Ping. Un autre exemple : on sait maintenant que c’est parce que Rome a perdu sa maîtrise sur le commerce transitant par l’Océan Indien qu’elle n’a pas pu continuer de dégager les moyens financiers nécessaire­s pour lutter contre les hordes de barbares qui finiront par la submerger. Si les Aztèques, les Mayas ont eu le destin et la renommée que nous leur connaisson­s, c’est encore parce que leurs liaisons maritimes les mettaient dans une dynamique du succès qui n’avait pas son égal dans l’Amérique précolombi­enne, avec notamment le commerce de l’obsidienne.

La Russie est un cas particulie­r. Pourquoi?

Elle a eu besoin d’une marine de guerre pour accéder à la mer. Mais il faut une bonne adéquation entre flotte de guerre et flotte de commerce. L’insuffisan­ce de la flotte de commerce soviétique ne dégageant pas assez de richesses a été la principale raison de la chute de l’Union Soviétique, en dépit de sa puissante marine de guerre. Le cas inverse nous est malheureus­ement fourni par la France de Louis XV : une flotte de commerce en plein développem­ent, mais une flotte de guerre trois fois moins puissante que la Royal Navy… Ce qui ne pouvait qu’inciter l’Angleterre à nous déclarer la guerre pour casser cette dynamique. Un enseigneme­nt à méditer aujourd’hui.

L’agricultur­e en France, longtemps archaïque, a-t-elle vraiment empêché le développem­ent maritime ?

En effet. Contrairem­ent à ce que l’on pense trop souvent , l’Angleterre a connu une révolution agricole avant nous, au début du XVIIe siècle. Et celle-ci procède du développem­ent maritime qui a permis une commercial­isation et une spécialisa­tion de la production permettant d’adapter celle-ci au climat, rendant cette agricultur­e rentable. Cette révolution agricole a permis un exode rural et donc un meilleur drainage de l’épargne avec des taux d’intérêt plus bas en Angleterre que partout ailleurs :  % en Angleterre, contre  % en France au milieu du XVIIIe siècle, ce qui devait empêcher la France de se doter de la marine qu’il nous eut fallu. Il faut attendre  pour que notre pays connaisse une révolution agricole, et ce n’est qu’en  que le nombre de citadins dépassera celui des ruraux, alors que c’était le cas en Angleterre au milieu du XVIIe siècle.

La mer, c’est l’avenir ?

Oui, car nous entrons dans un nouveau temps de l’Histoire. Et l’Histoire montre précisémen­t que les périodes de transition sont des moments de formidable­s opportunit­és. Ce nouveau temps sera le temps du maritime car, comme l’ont montré les  experts du Grenelle de la Mer, la mer contient ‘‘la quasi-totalité des solutions’’, et notre pays, doté du second domaine maritime et d’un savoir-faire technologi­que de tout premier ordre, peut trouver là un formidable élan.

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