Autopsie d’un crash politique
Comment la droite a-t-elle perdu une présidentielle qu’on lui promettait gagnée d’avance ? Armé d’une exaspération chirurgicale, Patrick Stefanini, vieux routier du gaullisme qui fut le directeur de campagne de François Fillon, avant de jeter l’éponge au moment du meeting du Trocadéro, distille son analyse, autoflagellation et écoeurement mêlés, dans un livre d’entretiens avec Carole Barjon, journaliste politique à L’Obs. Juppéiste de coeur, Stefanini dénonce volontiers l’acharnement judiciaire qui a envoyé Fillon dans le mur. Mais il n’exonère en rien le fossoyeur des Républicains de ses propres turpitudes. Le vainqueur de la primaire est campé comme une sorte de Mitterrand de droite, hédoniste et secret, la capacité de séduire en moins. Un Fillon peu enclin à sortir de sa zone de confort, au fonctionnement solitaire, caparaçonné, « toujours difficile à joindre et qui ne rappelle pas ». Un chef qui n’en est pas un, incapable de convertir l’or qui lui est soudain tombé dans les mains, le novembre, en aventure collective. Patrick Stefanini lui fait grief de n’avoir prévenu personne, hormis le président du Sénat, Gérard Larcher, alors qu’il savait dès mi-décembre que Le Canard enchaîné enquêtait sur les salaires de son épouse. « Il a gardé ce secret par nonchalance, pas par professionnalisme. S’il nous avait donné quelques indices, nous aurions beaucoup mieux fait face aux révélations. » Le haut fonctionnaire, membre du Conseil d’État, n’a pas été entendu lorsqu’il a, avec d’autres, suggéré à François Fillon de rembourser les salaires perçus par ses proches. « Ce geste n’aurait sans doute pas modifié le cours de la procédure, mais il aurait changé la donne politique. » Pour autant, Stefanini n’absout son camp ni de sa faillite collective, ni de ses mesquineries. «La primaire aurait dû se tenir au printemps, pour que le vainqueur se repose pendant l’été et crée les conditions d’un vrai rassemblement. » À titre personnel, il regrette de n’avoir pas su insuffler une dynamique en amenant Juppé et Sarkozy à faire corps avec leur vainqueur. Les guéguerres intestines, les haines recuites, entre Sarkozy et Juppé d’une part, Baroin et Juppé d’autre part, comme le peu d’entrain d’Alain Juppé à retourner au feu, n’auront pas permis de désamorcer le désastre. L’obstination de Fillon à se maintenir coûte que coûte, confesse-t-il, a porté un coup à son admiration initiale. Patrick Stefanini a bu le calice jusqu’à la lie, l’ironie de Nicolas Sarkozy en prime : « Comment as-tu pu participer à ce désastre ? Comment as-tu pu t’associer à cette équipe qui a ruiné la droite ? » Un naufrage à la responsabilité largement partagée, malgré tout… Déflagration de Patrick Stefanini, chez Robert Laffont, 395 pages, 21 euros.