Var-Matin (Grand Toulon)

Nice : le XIXe siècle crée la future avenue Jean-Médecin

Jusque dans les années 1860, elle n’était que marécages et campagne, mais cette année-là, le maire François Malausséna, décide d’y implanter la gare promise par Napoléon III

- ANDRÉ PEYREGNE

ÀNice, on l’appelle l’ « Avenue ». Il y a quelque chose d’affectueux, de familial, dans cette appellatio­n. On « va sur l’Avenue », on « se promène sur l’Avenue »,on« se donne rendez-vous sur l’Avenue». Elle est au centre de la vie de la ville. Du temps de nos anciens, elle était l’«avenue de la Victoire ». Aujourd’hui, elle

s’appelle « avenue Jean-Médecin ». On a du mal à imaginer qu’il y a un peu plus d’un siècle et demi cet endroit n’était que prairies et marécages. Un siècle et demi, c’est peu dans la vie d’une ville. Au XIXe siècle, Nice a connu une formidable explosion urbaine. Les marais se sont transformé­s en cité. À cette époque, à Marseille, la Canebière était déjà tracée déjà depuis deux siècles, de même que les ChampsÉlys­ées à Paris. En revanche, à Toulon, le boulevard de Strasbourg n’existait pas encore (lire encadré). Jusqu’au XIXe, Nice est concentrée sur la rive gauche du Paillon, en ce qu’on appelle aujourd’hui le «Vieux Nice ».

On y chasse la bécasse

Sur la rive droite, s’étendent de vastes étendues inhabitées, parfois insalubres, parcourues de torrents provenant des collines comme Cimiez ou Pessicart. L’un de ces torrents qui a donné son nom à un quartier, aujourd’hui, est le Magnan. Côté sud s’étend le «Long champ», parcouru de chemins muletiers, dont on retrouve aujourd’hui le nom dans l’actuelle élégante « rue Longchamp ». Cette zone inhabitée est parcourue de vallons. Le Vallon Saint-Michel suit le tracé actuel de l’« Avenue»! À l’endroit de l’église Notre-Dame coulent les ruisseaux, à l’emplacemen­t de l’actuel Crédit Lyonnais on chasse la bécasse et aux abords des actuelles Galeries Lafayette coassent les grenouille­s.

Le poète niçois Rosalinde Rancher (1785-1843) y fait vivre ses personnage­s : « Blanquine, en promenant s’afflige prou et peu/ Et du pré de Cognet, parcourt les venelles/ Quand le pré alors était couvert de fleurs/ Cueille des coquelicot­s et des pâquerette­s. »Lepréde Cognet se trouvait à l’endroit de l’actuel centre commercial Nice-Etoile! La constructi­on de l’Avenue résulta de l’idée folle du maire François Malausséna d’édifier au début des années 1860 la gare de Nice… à la campagne ! Après le rattacheme­nt de Nice à la France, Napoléon III avait promis l’arrivée du chemin de fer. Où allait-on construire la gare ? Le débat fit rage. Certains la voyaient sur la rive gauche du Paillon près du centre de la ville ; d’autres à proximité de la place Masséna où arrivaient les diligences en provenance de Toulon. Mais Malausséna, encouragé par Napoléon III, tint bon et imposa son idée de construire la gare hors ville. Elle fut inaugurée en 1864. Un très bon livre de Charles Paccino raconte l’histoire de l’«Avenue» (éditions Serre, 1983). Les terrains sont si marécageux qu’elle doit être construite à une hauteur de deux mètres pour permettre l’écoulement des eaux. Les urbanistes recommande­nt qu’«elle ait un caractère élégant »:« Il importe, réclament-ils, que les voyageurs sortant de la gare voient de jolies villas entourées de verdure, protégées par des belles grilles ! » À l’autre bout de l’avenue seront construite­s des maisons à arcades pour donner suite au style turinois de la place Masséna.

Napoléon III donne   francs pour l’église

Le premier bâtiment important construit sur l’Avenue fut l’église Notre-Dame, inaugurée en 1868. Napoléon III participa à la souscripti­on en versant 40 000 francs. Le style gothique fut délibéréme­nt choisi car il concrétisa­it le rattacheme­nt de Nice à la France en rompant avec le style italien. Le terrain était si instable qu’on renonça à édifier les flèches initialeme­nt prévues au-dessus des tours. Pour inciter les Niçois à construire et s’installer le long de l’avenue, on leur fit cadeau des impôts. Les premiers commerces s’établissen­t. Sous les arcades, près de la place Masséna, voici le bijoutier Bonfante. Il est célèbre pour avoir forgé le sabre offert à Garibaldi par la ville de Nice en 1859. Il n’existe plus aujourd’hui. Un Grand Bazar se construit au milieu de l’avenue, à l’emplacemen­t actuel de l’enseigne Monoprix. Cela n’empêche pas quotidienn­ement les marchés aux primeurs de se tenir au long de l’avenue sous les platanes. L’Avenue va devenir en quelques années un lieu de divertisse­ment. Ses café-concerts vont se multiplier.

Pour inciter les Niçois à construire et s’installer le long de l’avenue, on leur fit cadeau des impôts.

L’un des plus célèbres sera celui de la Maison Dorée, à la place actuelle de la Société Générale. Cette « Maison » est fréquentée par des gens célèbres comme l’écrivain Mistral ou l’homme politique Paul Déroulède, romancier, député, homme politique important de la IIIe République, mort à Nice en 1914. Léon Gambetta, président du conseil (équivalent de Premier ministre aujourd’hui) et de la Chambre des députés, y faisait des entrées spectacula­ires lorsqu’il venait voir son père à Nice. Auprès des journalist­es qui viennent le rencontrer, il se fait fort de réciter par coeur le budget de la France.

Des cochers et des tramways

En 1883, l’Avenue devient le centre de presse de la ville avec l’installati­on de l’ Éclaireur qui précédera au numéro 29 notre journal Nice-Matin, installé là après la Deuxième Guerre mondiale avant de déménager dans les années 1980 dans la plaine du Var où il se trouve actuelleme­nt. Les intellectu­els se retrouvent sur l’Avenue. Dans les salons de l’«Hôtel des Îles britanniqu­es», dont l’immeuble, près de l’actuel boulevard Victor-Hugo, a disparu aujourd’hui, deux dames niçoises tinrent salon – comme Madame Verdurin à Paris dans la Recherche du temps perdu de Proust. Elles s’appellent

Madame de Stefanis et Madame Decori. La seconde, craignant que les voyous deviennent plus nombreux que les héros recommande ceci: «Plantez plutôt du chanvre que du laurier, car bientôt on aura plus de gens à pendre qu’à couronner!» Ces salons sont fréquentés par les écrivains Alexandre Dumas ou Frédéric Nietzsche, par le compositeu­r Gounod, ou encore par Gambetta. Napoléon III lui-même vint le visiter. En plus des café-concerts, il y a aussi les café-théâtres. Bien avant que s’ouvre au numéro 10, en 1905, ce temple de l’opérette que sera l’Olympia (occupé par l’enseigne Zara, aujourd’hui), on se rend ici au Claridge, où l’on applaudit sa danseuse à corde; là à la Gaîté; ailleurs à l’Ambigu ou à la Bua. Et, au croisement de l’actuelle rue Pastorelli, on va applaudir au cirque Niçois les jongleurs indiens, les sauteurs chinois, les acrobates génois, les nains, la chèvre savante, le cheval gastronome ou encore l’acteur monstre qui joue l’ Éléphant roi du Siam. Une fois par an, à partir des années 1890, le carnaval déroule sous les guirlandes lumineuses, son cortège fou de chars, grosses têtes et batailleur­s de confetti. L’Avenue est décrite ainsi, au milieu des années 1880, par Stephen Liégeard, dans son livre la « Côte d’Azur » qui a donné son nom à notre région : « À peine a-t-on quitté la gare et côtoyé l’imposante rangée d’eucalyptus qui abrite le trottoir, que les adjuration­s des cochers vous appellent «monsieur le comte», le fouet des omnibus, le sifflet des tramways à chevaux vous révèlent la présence d’une grande ville. Entre sa double rangée de platanes à hautes tiges, l’avenue de la gare se déploie. L’église néogothiqu­e de Notre-Dame, le Crédit Lyonnais, vieux palais de marbre, peuvent y compter parmi les plus remarquabl­es édifices. Entre eux et à proximité s’ouvre la Bourse, petit temple de style grec, siège de retentissa­nts procès. » La Bourse n’existe plus aujourd’hui. Son petit temple grec, situé en retrait de l’Avenue, au 50 avenue Gioffredo, a été transformé en salle des ventes. Quant au bâtiment du Crédit Lyonnais, il a été le premier grand établissem­ent bancaire édifié sur l’Avenue. Ont suivi deux autres immeubles célèbres: celui, Belle Époque, des magasins de la Riviéra (aujourd’hui enseigne FNAC) en 1913 et, en 1916, celui des Galeries Lafayette aux façades ocre rouge et aux arcades turinoises. La Grande Guerre éteignit progressiv­ement, à partir de 1915, les réverbères et les distractio­ns de l’Avenue. Les grandes constructi­ons ne reprirent qu’en 1921 avec les immeubles de la BNP et de la Société Générale. C’est le second qui, en 1976, devait être visité de nuit par un certain Spaggiari ! À cette époque, l’Avenue avait déjà pris le nom de Jean- Médecin (voir encadré). Mais pour tous, elle demeurait tout simplement l’«Avenue».

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(Photos DR) Le maire François Malausséna 1 a décidé la constructi­on de l’Avenue, dont le premier bâtiment important fut l’église Notre-Dame (à droite sur la photo) 2. Elle fut parcourue par différents moyens de transport : tramways tirés par les chevaux 3,...
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(Photo DR) Le débouché de l’Avenue sur la place Masséna.

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