Nice : le XIXe siècle crée la future avenue Jean-Médecin
Jusque dans les années 1860, elle n’était que marécages et campagne, mais cette année-là, le maire François Malausséna, décide d’y implanter la gare promise par Napoléon III
ÀNice, on l’appelle l’ « Avenue ». Il y a quelque chose d’affectueux, de familial, dans cette appellation. On « va sur l’Avenue », on « se promène sur l’Avenue »,on« se donne rendez-vous sur l’Avenue». Elle est au centre de la vie de la ville. Du temps de nos anciens, elle était l’«avenue de la Victoire ». Aujourd’hui, elle
s’appelle « avenue Jean-Médecin ». On a du mal à imaginer qu’il y a un peu plus d’un siècle et demi cet endroit n’était que prairies et marécages. Un siècle et demi, c’est peu dans la vie d’une ville. Au XIXe siècle, Nice a connu une formidable explosion urbaine. Les marais se sont transformés en cité. À cette époque, à Marseille, la Canebière était déjà tracée déjà depuis deux siècles, de même que les ChampsÉlysées à Paris. En revanche, à Toulon, le boulevard de Strasbourg n’existait pas encore (lire encadré). Jusqu’au XIXe, Nice est concentrée sur la rive gauche du Paillon, en ce qu’on appelle aujourd’hui le «Vieux Nice ».
On y chasse la bécasse
Sur la rive droite, s’étendent de vastes étendues inhabitées, parfois insalubres, parcourues de torrents provenant des collines comme Cimiez ou Pessicart. L’un de ces torrents qui a donné son nom à un quartier, aujourd’hui, est le Magnan. Côté sud s’étend le «Long champ», parcouru de chemins muletiers, dont on retrouve aujourd’hui le nom dans l’actuelle élégante « rue Longchamp ». Cette zone inhabitée est parcourue de vallons. Le Vallon Saint-Michel suit le tracé actuel de l’« Avenue»! À l’endroit de l’église Notre-Dame coulent les ruisseaux, à l’emplacement de l’actuel Crédit Lyonnais on chasse la bécasse et aux abords des actuelles Galeries Lafayette coassent les grenouilles.
Le poète niçois Rosalinde Rancher (1785-1843) y fait vivre ses personnages : « Blanquine, en promenant s’afflige prou et peu/ Et du pré de Cognet, parcourt les venelles/ Quand le pré alors était couvert de fleurs/ Cueille des coquelicots et des pâquerettes. »Lepréde Cognet se trouvait à l’endroit de l’actuel centre commercial Nice-Etoile! La construction de l’Avenue résulta de l’idée folle du maire François Malausséna d’édifier au début des années 1860 la gare de Nice… à la campagne ! Après le rattachement de Nice à la France, Napoléon III avait promis l’arrivée du chemin de fer. Où allait-on construire la gare ? Le débat fit rage. Certains la voyaient sur la rive gauche du Paillon près du centre de la ville ; d’autres à proximité de la place Masséna où arrivaient les diligences en provenance de Toulon. Mais Malausséna, encouragé par Napoléon III, tint bon et imposa son idée de construire la gare hors ville. Elle fut inaugurée en 1864. Un très bon livre de Charles Paccino raconte l’histoire de l’«Avenue» (éditions Serre, 1983). Les terrains sont si marécageux qu’elle doit être construite à une hauteur de deux mètres pour permettre l’écoulement des eaux. Les urbanistes recommandent qu’«elle ait un caractère élégant »:« Il importe, réclament-ils, que les voyageurs sortant de la gare voient de jolies villas entourées de verdure, protégées par des belles grilles ! » À l’autre bout de l’avenue seront construites des maisons à arcades pour donner suite au style turinois de la place Masséna.
Napoléon III donne francs pour l’église
Le premier bâtiment important construit sur l’Avenue fut l’église Notre-Dame, inaugurée en 1868. Napoléon III participa à la souscription en versant 40 000 francs. Le style gothique fut délibérément choisi car il concrétisait le rattachement de Nice à la France en rompant avec le style italien. Le terrain était si instable qu’on renonça à édifier les flèches initialement prévues au-dessus des tours. Pour inciter les Niçois à construire et s’installer le long de l’avenue, on leur fit cadeau des impôts. Les premiers commerces s’établissent. Sous les arcades, près de la place Masséna, voici le bijoutier Bonfante. Il est célèbre pour avoir forgé le sabre offert à Garibaldi par la ville de Nice en 1859. Il n’existe plus aujourd’hui. Un Grand Bazar se construit au milieu de l’avenue, à l’emplacement actuel de l’enseigne Monoprix. Cela n’empêche pas quotidiennement les marchés aux primeurs de se tenir au long de l’avenue sous les platanes. L’Avenue va devenir en quelques années un lieu de divertissement. Ses café-concerts vont se multiplier.
Pour inciter les Niçois à construire et s’installer le long de l’avenue, on leur fit cadeau des impôts.
L’un des plus célèbres sera celui de la Maison Dorée, à la place actuelle de la Société Générale. Cette « Maison » est fréquentée par des gens célèbres comme l’écrivain Mistral ou l’homme politique Paul Déroulède, romancier, député, homme politique important de la IIIe République, mort à Nice en 1914. Léon Gambetta, président du conseil (équivalent de Premier ministre aujourd’hui) et de la Chambre des députés, y faisait des entrées spectaculaires lorsqu’il venait voir son père à Nice. Auprès des journalistes qui viennent le rencontrer, il se fait fort de réciter par coeur le budget de la France.
Des cochers et des tramways
En 1883, l’Avenue devient le centre de presse de la ville avec l’installation de l’ Éclaireur qui précédera au numéro 29 notre journal Nice-Matin, installé là après la Deuxième Guerre mondiale avant de déménager dans les années 1980 dans la plaine du Var où il se trouve actuellement. Les intellectuels se retrouvent sur l’Avenue. Dans les salons de l’«Hôtel des Îles britanniques», dont l’immeuble, près de l’actuel boulevard Victor-Hugo, a disparu aujourd’hui, deux dames niçoises tinrent salon – comme Madame Verdurin à Paris dans la Recherche du temps perdu de Proust. Elles s’appellent
Madame de Stefanis et Madame Decori. La seconde, craignant que les voyous deviennent plus nombreux que les héros recommande ceci: «Plantez plutôt du chanvre que du laurier, car bientôt on aura plus de gens à pendre qu’à couronner!» Ces salons sont fréquentés par les écrivains Alexandre Dumas ou Frédéric Nietzsche, par le compositeur Gounod, ou encore par Gambetta. Napoléon III lui-même vint le visiter. En plus des café-concerts, il y a aussi les café-théâtres. Bien avant que s’ouvre au numéro 10, en 1905, ce temple de l’opérette que sera l’Olympia (occupé par l’enseigne Zara, aujourd’hui), on se rend ici au Claridge, où l’on applaudit sa danseuse à corde; là à la Gaîté; ailleurs à l’Ambigu ou à la Bua. Et, au croisement de l’actuelle rue Pastorelli, on va applaudir au cirque Niçois les jongleurs indiens, les sauteurs chinois, les acrobates génois, les nains, la chèvre savante, le cheval gastronome ou encore l’acteur monstre qui joue l’ Éléphant roi du Siam. Une fois par an, à partir des années 1890, le carnaval déroule sous les guirlandes lumineuses, son cortège fou de chars, grosses têtes et batailleurs de confetti. L’Avenue est décrite ainsi, au milieu des années 1880, par Stephen Liégeard, dans son livre la « Côte d’Azur » qui a donné son nom à notre région : « À peine a-t-on quitté la gare et côtoyé l’imposante rangée d’eucalyptus qui abrite le trottoir, que les adjurations des cochers vous appellent «monsieur le comte», le fouet des omnibus, le sifflet des tramways à chevaux vous révèlent la présence d’une grande ville. Entre sa double rangée de platanes à hautes tiges, l’avenue de la gare se déploie. L’église néogothique de Notre-Dame, le Crédit Lyonnais, vieux palais de marbre, peuvent y compter parmi les plus remarquables édifices. Entre eux et à proximité s’ouvre la Bourse, petit temple de style grec, siège de retentissants procès. » La Bourse n’existe plus aujourd’hui. Son petit temple grec, situé en retrait de l’Avenue, au 50 avenue Gioffredo, a été transformé en salle des ventes. Quant au bâtiment du Crédit Lyonnais, il a été le premier grand établissement bancaire édifié sur l’Avenue. Ont suivi deux autres immeubles célèbres: celui, Belle Époque, des magasins de la Riviéra (aujourd’hui enseigne FNAC) en 1913 et, en 1916, celui des Galeries Lafayette aux façades ocre rouge et aux arcades turinoises. La Grande Guerre éteignit progressivement, à partir de 1915, les réverbères et les distractions de l’Avenue. Les grandes constructions ne reprirent qu’en 1921 avec les immeubles de la BNP et de la Société Générale. C’est le second qui, en 1976, devait être visité de nuit par un certain Spaggiari ! À cette époque, l’Avenue avait déjà pris le nom de Jean- Médecin (voir encadré). Mais pour tous, elle demeurait tout simplement l’«Avenue».